De ECB kruisigt de euro
Dans la religion, le Jeudi Saint marque le début des souffrances de Jésus. Cela aurait très bien pu aussi s'appliquer à l’euro cette année. Dans l'histoire pascale de la monnaie européenne, la BCE joue un double rôle. Elle est le Judas qui a trahi la monnaie la semaine dernière après l’avoir fait beaucoup espérer en mars. Et ce faisant, elle est devenue le Ponce Pilate qui a donné l’ordre de crucifier l’euro. Malheureusement, pour la monnaie unique, l’analogie avec le Triduum pascal s’arrête là : il n’est pour l’instant pas question de résurrection. Bien au contraire. À la fin de la semaine dernière, le cours EUR/USD est passé de niveaux se situant dans la fourchette haute de 1,08 à son niveau le plus bas de l’année (1,0806). Cette zone de support technique a été rompue au début de cette nouvelle semaine. Pour l’instant, la paire de devises s’accroche encore à une dernière lueur d’espoir aux alentours de 1,078, mais sa situation semble très délicate. Une rupture en dessous de ce seuil ouvrirait la voie vers le plancher de 1,0636 atteint en mars 2020 en pleine pandémie.
Le chemin de croix de l’euro a commencé. À titre de comparaison, le cours EUR/USD tournait encore autour de 1,12 début avril. Il avait même passé la barre de 1,14 plus tôt dans l'année. Certains acteurs du marché, nous y compris, espéraient que la BCE viendrait à la rescousse de l’euro. En mars, elle a accéléré le rythme de réduction de ses achats nets d’obligations en vue de les ramener à zéro. Ce cap devrait plus que vraisemblablement être atteint au troisième trimestre de cette année. La semaine dernière, la BCE s'est contentée de confirmer ce scénario. Elle est en revanche restée vague en ce qui concerne le timing du premier relèvement de taux, malgré l'évidente nécessité d'un tel resserrement. La banque se sent coincée entre le marteau, le ralentissement de la croissance, et l’enclume, l’inflation galopante. À l'heure où c'est cette même inflation qui sape la croissance, la réponse paraît pourtant évidente. C'est du moins ce que les marchés et nous-mêmes pensons, mais cet avis n'est manifestement pas (encore) partagé par la BCE. Le contraste avec la Fed américaine est énorme. De l'autre côté de l'Atlantique, certains commencent même à plaider pour un relèvement de pas moins de 75 points de base.
Le coup d’envoi du cycle de resserrement des taux pourrait néanmoins être lancé en juillet. Selon la ligne officielle, la BCE relèvera le taux "quelques temps après" la fin des achats nets. Lagarde a une nouvelle fois précisé que le délai entre la fin des achats et la première hausse de taux pourrait aller "d'une semaine à plusieurs mois". En vue de l’ancrage des prévisions d’inflation autour de 2 %, mieux vaudrait que cela soit une semaine. Face à l'inertie, plusieurs mesures continuent de progresser imperturbablement, dépassant parfois les 3 %. Au rythme actuel, elles rattraperont bientôt leurs pendants américains. En Europe, cette composante de l’inflation demeure en outre le principal moteur derrière le mouvement haussier des taux d’intérêt. Cela a entraîné un raidissement de la courbe, tant jeudi qu’à la réouverture des marchés des taux européens aujourd’hui.
Ce constat donne un autre éclairage sur le recul du cours EUR/USD. La campagne de normalisation agressive de la Fed a deux conséquences majeures : les taux réels augmentent et les prévisions d’inflation se stabilisent.Cette combinaison est une bénédiction pour le dollar. Une monnaie qui doit précisément faire face à la situation inverse est en revanche un oiseau pour le chat. Cette menace plane sur la BCE et l’euro, mais est déjà devenue réalité pour la Banque du Japon et le yen. La paire USD/JPY a ainsi facilement franchi le cap de 128, pour atteindre un plus haut sur 20 ans, aujourd’hui.