Sur la rive du Rubicon
Cela reste un risque extrême. Mais si le président Trump parvient à licencier Cook, membre du conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, il y aura des retombées majeures. Pour l’instant, les marchés sous-estiment le risque de la fin de l’indépendance de la banque centrale américaine après 111 ans.
“Nous sommes près d’avoir une majorité. Et quand on l’aura, on changera de cap.” Sur les réseaux sociaux, Trump se réjouit d’avance. La majorité à laquelle il renvoie est celle du conseil des gouverneurs, dont sept membres politiquement nommés et cinq délégués des douze districts régionaux de la banque centrale forment le Federal Open Market Committee, qui décide de la politique monétaire. En outre, le conseil exerce une autorité sur les pontes régionaux de la Fed.
Avec deux nominations au cours de son premier mandat, Trump a déjà installé deux sympathisants. Les gouverneurs Waller et Bowman sont ainsi les seuls à avoir voté pour un abaissement des taux de 25 points de base en juillet. Bien que les opinions/votes divergents soient plus fréquents parmi les présidents régionaux de la Fed, la division au sein du conseil des gouverneurs n’a pas été aussi marquée en 30 ans (5-2). Début août, le membre du conseil Kugler a démissionné de manière inattendue. Son mandat aurait de toute façon expiré en janvier, mais Trump a pu nommer un autre cheerleader (Miran) de sa politique (de taux) pour la remplacer. Selon le timing de son approbation au Sénat (contrôlé par les républicains), celui-ci aura ou non le droit de voter à la prochaine réunion de politique (le 17 septembre). Et maintenant, pour parachever son trèfle à quatre feuilles, Trump vise la gouverneure Cook. Il a cessé de rendre le marché nerveux en attaquant le président de la Fed, Powell, et semble maintenant attendre la fin de son mandat officiel en mai pour nommer à sa place un autre adepte du mouvement MAGA. Un processus de nomination rapide pourra donner le ton plus tôt: d’où l’intérêt pour Cook, nommée de justesse sous l’autorité du président Biden. Trump veut tordre/interpréter ses propres pouvoirs constitutionnels de manière à ouvrir une brèche dans l’inviolabilité politique de la Réserve fédérale. Si les tribunaux lui donnent raison, il créera non seulement un précédent très dangereux, mais minera aussi la crédibilité et l’indépendance de la banque centrale. La comparaison avec l’ingérence du président Erdogan en Turquie n’est pas exagérée.
Ce qui nous ramène aux conséquences sur le marché. Plus Trump (et ses sectateurs) appellent à un abaissement des taux directeurs, plus la pression haussière s’accumule à l’extrémité longue de la courbe. Une prime d’inflation s’ajoute à la prime de risque de crédit. Outre les obligations américaines, dans un tel scénario, le dollar et les actifs plus risqués pourront également être malmenés, en écho à la dynamique “Sell America” qui avait dominé le début du deuxième trimestre.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC