Le dollar contemple l’abîme…
Ce soir, nous assisterons à l’une des réunions de politique les plus importantes de la Fed de ces dernières années. Tout d’abord, entre un marché du travail qui montre des signes de faiblesse et une inflation obstinément élevée, le comité de politique monétaire devra trancher le nœud gordien. De plus, la Fed risque d’être prise en étau par des intérêts stratégiques et politiques. Après un été de fluctuations latérales sans conviction, le dollar manifeste d’ores et déjà des signes de nervosité accrue. Hier, le cours EUR/USD a battu son record annuel de 1,1829. Le dollar cote ainsi à son niveau le plus faible vis-à-vis de la monnaie unique depuis septembre 2021. Une alerte rouge sur le plan technique. Le président de la Fed, Powell, pourra-t-il conjurer le sort, si tant est qu’il le veuille?
Ce n’est pas la première fois que nous procédons à cette analyse cyclico-économique. À Jackson Hole, le président de la Fed avait indiqué qu’entre la faiblesse de l’emploi et l’effet limité des tarifs douaniers sur l’inflation, il devenait possible de relancer le cycle d’assouplissement monétaire. Aujourd’hui, toute autre décision qu’un abaissement de 25 pb (à 4%-4,25%) serait une surprise de taille. Entre-temps, le débat sur le nombre d’abaissements et leur rythme est de plus en plus parasité par des considérations politiques.
Depuis longtemps, le président Trump s’efforce de “persuader” la Fed de passer à une politique plus stimulante. La Fed est indépendante, mais Trump veut l’aider à prendre la bonne décision. Hier encore, il lui a modestement proposé ses services: “Ils devraient écouter des gens intelligents comme moi”. Et la nomination de dernière minute de Stephen Miran au poste de gouverneur lui permet de peser davantage. Miran reste en même temps conseiller économique à la Maison-Blanche. En revanche, la justice a provisoirement bloqué la tentative de Trump de limoger la gouverneure Lisa Cook. Dans ce contexte, il y a une forte présomption/perception que le vote sur le taux directeur est devenu une sorte de concours de beauté parmi les gouverneurs qui veulent se faire bien voir de Trump, dans l’espoir de succéder à Powell l’année prochaine (Waller, Bowman?). En réaction, les autres membres du conseil des gouverneurs adapteront-ils leur vote pour les contrebalancer? C’est un cadre rêvé auquel appliquer les meilleurs modèles de la théorie des jeux. Quoi qu’il en soit, il y a de fortes chances pour qu’après ce soir, les marchés n’aient qu’une vision floue de la politique future de la Fed. Et c’est peut-être une première cause de la baisse de confiance que nous observons en amont de la décision.
Récemment, il a été remarqué que la baisse du taux américain à long terme est entièrement due aux taux d’intérêt réels (1,65% à 10 ans, contre 2,2% en mai). En parallèle, les anticipations inflationnistes restent élevées (± 2,4%). Il n’est pas toujours évident d’interpréter une baisse des taux réels (anticipation d’une politique relativement souple? craintes relatives à un ralentissement de la croissance?...). Mais en tout cas, cette baisse combinée à des anticipations inflationnistes élevées rend le dollar moins intéressant. Comme nous l’indiquions, la rupture d’hier au-dessus de EUR/USD 1,1829 est un signe funeste pour la devise – surtout vis-à-vis d’une monnaie unique qui n’est pas exempte de maux fiscaux/politiques. Pour un aperçu plus détaillé, tournons-nous vers l’indice pondéré des échanges commerciaux: celui-ci cote à un cheveu de son nadir annuel de 96,37, qu’il avait atteint début juin. En cas de rupture, s’ouvre un fossé béant vers 89,2 (plancher de 2020).
Dollar pondéré des échanges commerciaux (DXY): risque de rupture technique