Une monnaie AAA n'est pas l'autre
Dans de nombreux pays (européens), les gouvernements sont en pleine élaboration de leur budget. Dans cet exercice qui vise à allouer le peu de moyens dont ils disposent en fonction de besoins sociétaux beaucoup plus importants, il n’est pas rare qu’ils se heurtent aussi aux limites fixées par les marchés (spreads) et/ou les agences de notation. Un problème qui s'est beaucoup moins posé lors de la préparation du projet de budget norvégien présenté hier. Les revenus générés par le fonds pétrolier (Government Pension Fund Global, GPFG) rendent en effet les discussions moins compliquées. Si le pays bénéficie toujours d'une note "AAA" auprès des trois grandes agences, nous expliquons ci-dessous en partie pourquoi ce solide rating et la politique de soutien budgétaire ne permettent pas à la couronne de faire partie des devises les plus performantes du marché ou de s'imposer comme une valeur refuge en période de turbulences financières.
Le GPFG affiche une valeur environ quatre fois supérieure au PIB norvégien. L'affectation de ses moyens est cependant limitée par le pouvoir politique. Chaque année, le budget peut utiliser au maximum 3 % du fonds,, un taux qui correspond au rendement réel généré par celui-ci. Concrètement, le gouvernement norvégien prévoit d'utiliser 579 milliards de couronnes l'année prochaine, soit 2,8 % du fonds. Cela permettra de compenser un déficit budgétaire structurel de 13,1 % du PIB (hors pétrole). Dans la pratique, plus d’un quart des dépenses publiques norvégiennes sont couvertes par les revenus du fonds. Comme chaque année, le gouvernement a calculé que le budget ne fournirait qu’une contribution (supplémentaire) limitée à la croissance (0,1 %) l’année prochaine. En ce qui concerne les autres variables économiques, le gouvernement norvégien table sur une croissance de 2,1 % l’année prochaine (après 2 % cette année). L’inflation (CPI-ATE) devrait quant à elle passer de 2,9 % cette année à 2,5 % l’année prochaine. Le taux de chômage reste pour sa part faible, à 2,1 %. Tout ceci nous amène à la politique monétaire.
Dans ses analyses, la Norges Bank (NB) tient bien entendu compte de l’incidence du budget sur la croissance et l’inflation. Les subventions structurelles du fonds pétrolier, entre autres, soutiennent durablement la demande et l’économie norvégienne reste très proche de ses limites de capacité. La pression inflationniste/sur les coûts est donc plus élevée que dans l’UEM, par exemple. L'indicateur vaut évidement ce qu'il vaut, mais sur la période 2010-25, l’inflation norvégienne a dépassé celle de l'UEM d'environ 0,6 % en moyenne. Cela montre que la banque centrale ne veut ou ne peut pas compenser entièrement cette pression sur les coûts par une politique monétaire plus restrictive. Si l'on examine de plus près la situation actuelle, la NB estime que l'objectif d'inflation sera difficilement atteint en 2028, même si elle abaisse très progressivement son taux directeur à 3 % au cours de cette période. Les coûts internes structurellement plus élevés seront en principe compensés par un taux de change plus faible afin de garder l’économie concurrentielle. Cela concerne surtout le long terme. À court terme, l'évolution de devises comme la couronne pourrait être déterminée par d'autres mécanismes tels que les différentiels de taux ou le sentiment à l'égard du risque. De par la situation des coûts à l'intérieur du pays, la couronne se trouve, d'un point de vue structurel, dans une position totalement différente de celle du franc suisse, par exemple, où la persitance d'une inflation/pression sur les coûts très faible pose les bases d’un renforcement structurel et constant de la monnaie. Ou comment une devise AAA n’est pas l’autre…
EUR/NOK (bleu, droite) et EUR/CHF (jaune, gauche) : deux pays AAA différents.