Trump met le feu aux poudres

Jusqu’à présent, les marchés ont réagi avec stoïcisme à la cascade de mesures (arbitraires) de Trump 2.0. Le sentiment vis-à-vis du risque est resté remarquablement constructif. Les bourses américaines ont continué à tutoyer leurs sommets historiques. Bien que les commentaires et les analyses à propos du sort de l’Europe dans l’ère Trump aient mis en évidence de nombreux risques, les marchés espéraient que les choses n’iraient pas aussi vite. C’est avec une certaine discrétion que l’EuroStoxx50 a clôturé vendredi à son niveau le plus élevé depuis 2000.
Cette ‘négligence bénigne’ est due à un mélange d’espoir et de manque de visibilité. Nul ne savait quels tarifs douaniers Trump instaurerait, et même les têtes de l’analyse économique (y compris la Fed) admettaient qu’il était impossible d’en estimer l’impact sur la croissance et l’inflation. Une partie de cette ambiguïté est maintenant levée. Demain, à 12 h 01 heure de l’Est, les États-Unis imposeront des droits de douane de 25% sur les importations en provenance du Canada (y compris l’énergie: 10%) et du Mexique, ainsi que de 10% sur les biens chinois. Trump discutera encore aujourd’hui avec les dirigeants du Mexique et du Canada, mais a déjà indiqué qu’il n’attendait pas grand-chose de ces échanges. À moins que ce ne soit aussi une tactique, avec un revirement de dernière minute à la clé? Quoi qu’il en soit, ce que les pays concernés pourraient/devraient faire pour s’y soustraire à ce stade est loin d’être clair. Le Canada comme le Mexique mettront en œuvre des contre-mesures de taille, qui ne se limiteront pas à des droits de douane. Le Canada lance ainsi une campagne pour encourager l’achat de produits locaux plutôt que de produits américains. De son côté, Trump a répété que l’Europe pouvait également s’attendre à des droits d’importation.
Ce matin, nous recevrons de premières estimations quant à l’impact potentiel des mesures pour les États-Unis et les économies des pays visés. Si les chiffres varieront et relèveront de l’approximation, la conclusion générale est sans surprise: une croissance plus faible et des prix plus élevés aux États-Unis, une récession au Mexique et au Canada et une pression sur la croissance dans le monde entier. Pour les États-Unis, l’on peut se demander quel effet se manifestera le plus rapidement et le plus douloureusement: la hausse de l’inflation ou la baisse de la croissance? Le marché des taux américain penche pour la première option. Les taux à court terme grimpent jusqu’à 8 points de base, tandis que les taux à long terme sont en légère baisse, ce qui traduit en partie un sentiment baissier vis-à-vis du risque. Tant les futures boursiers américains (‑1,50%/‑2,0%) que les bourses européennes (EuroStoxx50 ‑1,75%) ouvrent en net recul.
Sur le marché des changes, le dollar est toujours le vainqueur par défaut. L’indice pondéré des échanges commerciaux (DXY) se rapproche de son sommet cyclique de 110. Le cours EUR/USD est brièvement tombé en deçà du niveau de support clé de 1,02, quoique sans rupture durable (pour l’instant). Quant au dollar canadien, il cote au plus bas vis-à-vis de l’USD depuis 2003. Le peso mexicain est tombé à son niveau le plus faible depuis début 2022.
En dehors des États-Unis, les taux dans des pays comme le Canada, mais aussi dans l’UEM suivent l’évolution inverse: les taux à court terme plongent (UEM à 2 ans ‑7 pb, Canada à 2 ans ‑8 pb). En effet, le marché part du principe que les pays touchés donneront un coup de pouce à l’économie intérieure par le biais d’un assouplissement de la politique monétaire. L’affaiblissement de la devise et les risques d’inflation passent au second plan pour l’instant. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. La question est de savoir combien de temps Trump (et les entreprises américaines) resteront satisfaits de la combinaison de taux d’intérêt plus élevés aux États-Unis, plus faibles en dehors et d’un dollar fort. Par exemple, Trump pourrait bientôt menacer d’infliger des tarifs supplémentaires aux pays avec une devise trop faible… En tout cas, une escalade menace, via de nombreux canaux possibles. De même, pendant combien de temps Trump pourra-t-il maîtriser l’incertitude qu’il a lui-même créée et qu’il estime jouer à son avantage? Une des leçons du coronavirus n’est-elle pas, par exemple, que la perturbation des chaînes d’approvisionnement peut vite faire des ravages? Une chose est sûre: les rapports de marché deviendront désormais des rapports de guerre (commerciale), caractérisés avant tout par la volatilité et l’imprévisibilité. Restez à l’écoute.
Dollar pondéré des échanges commerciaux (DXY): l’incertitude croissante fait de l’USD le gagnant par défaut ce matin.
