Le taux à 30 ans britannique atteint un cap important
La partie longue de la courbe des taux se trouve sous forte pression. Les investisseurs se débarrassent de leurs obligations toutes échéances confondues depuis décembre, mais c'est sur le segment 10-30 ans que les dégâts sont les plus importants. Cela a entraîné une hausse des taux américains de l'ordre de 50 à 60 points de base (pb). L’Europe connaît aussi un raidissement des courbes, avec des hausses allant jusqu'à 45 pb (Allemagne). Au Royaume-Uni, celles-ci atteignent 50 pb et plus. Hier, ce mouvement a poussé l'extrémité longue de la courbe britannique à un nouveau cap, avec un taux à 30 ans à 5,24 %, son niveau le plus élevé en 27 ans. Vous lisez bien : le taux est plus élevé aujourd’hui que lors de la crise obligataire de septembre 2022 sous l'ancienne première ministre, Liz Truss, et l'ancien ministre des Finances, Kwasi Kwarteng. À l'époque, l'envolée était la conséquence directe de la politique budgétaire financée par la dette extrêmement accommodante que Truss avait présentée dans le cadre d'un projet au nom plutôt ironique de « mini-budget ». Un scénario similaire se dessine en ce début d'année, avec cette fois des hausses un peu plus timides que les 50, 60 voire 70 points de base enregistrés sur une base journalière.
La rupture qu'a connue le taux à 30 ans hier a coïncidé avec le peu de succès rencontré par l'adjudication de papiers de la même échéance. Les premières émissions de l’année se déroulent pourtant généralement sans problème. Le fait que le marché dédaigne ces taux records mérite d'être souligné. Cette réticence des investisseurs s'explique en grande partie par ce que l'avenir nous réserve, à savoir une avalanche d’obligations britanniques, non seulement en janvier comme le veut la tradition, mais aussi plus tard dans l’année. Le budget expansionniste présenté par les travaillistes en octobre dernier contraint le Trésor à émettre un peu plus de 300 milliards de livres de de dettes, un montant qui n'a été dépassé qu'en 2021, en pleine crise de la Covid (485 milliards). L'office de responsabilité britannique OBR parle du plus grand assouplissement budgétaire de ces dernières décennies, avec une augmentation annuelle des dépenses de 2 % du PIB au cours des cinq prochaines années. La ministre des Finances, Rachel Reeves, a tiré les leçons de sa prédécesseure, mais les nouveaux impôts annoncés ne combleront que la moitié du déficit budgétaire.
Les ambitions budgétaires et économiques du parti travailliste mettent le marché obligataire britannique sur les dents. Le record enregistré par le taux à 30 ans hier ne sera peut-être pas le dernier. Nous y voyons une énième illustration, la plus concrète jusqu’à présent, du changement fondamental qui s'est opéré sur le marché des taux. En contraste avec la politique de taux nuls, voire négatifs, menée auparvant, ce nouveau contexte ne sera pas aussi clément pour un gouvernement dépensier qui n'arrive pas à mettre de l'ordre dans ses finances. Emprunter de l’argent coûte de l’argent et le Royaume-Uni va s'en rendre compte. Le cas britannique mérite d’ailleurs davantage que le seul intérêt des marchés et des analystes.Il doit servir d'avertissement pour les autres responsables politiques. L’Union européenne et les États-Unis, par exemple, font également face à d’énormes défis budgétaires. Et aucun des deux ne commence sur une base fiscale saine. Le succès moins important que d'habitute rencontré par les obligations du Trésor à 10 ans émises hier mérite à cet égard d'être souligné. Tous les projecteurs seront donc braqués sur l'adjudication prévue ce soir. La durée ? 30 ans.