Niveau charnière pour les taux longs

En tant qu'observateur du marché, difficile de savoir sur quel pied danser. Une règle de base est que l’incertitude est le grand ennemi de la stabilité. Or, cette semaine, le président Trump a encore abondamment nourri cette incertitude. Mais le marché s'est vite rassuré en pensant au fameux principe TACO ("Trump Always Chickens Out", Trump se dégonfle toujours). Même malgré l’annonce de droits de douane supplémentaires de 50 % sur les importations de cuivre ou la menace, guidée par des considérations politiques, d’une surtaxe de 50 % sur les importations en provenance du Brésil parce que Trump estime que Lula et son pays ne traitent pas correctement l’ancien président, Jair Bolsonaro. Nous ne nous prononcerons pas sur le fond de l’affaire, mais cela nous éloigne beaucoup d’un commerce international basé sur des règles. Le marché est à l’affût. Les bourses (américaines) ont atteint des niveaux record.
Si les marchés se sont inquiétés de quelque chose récemment, c'est bien de la viabilité des finances publiques dans de nombreuses économies développées, avec des taux plus élevés à l'extrémité ultra-longue de la courbe. Le Japon et le Royaume-Uni ont particulièrement retenu l'attention, mais les États-Unis et l’Allemagne suivent aussi la tendance. Nous nous trouvons à un point charnière (sur le plan technique). Les taux à 30 ans s'approchent de plafonds psychologiques (5 % aux États-Unis), cycliques (3,25 % en Allemagne), pluriannuels (5,65 % au Royaume-Uni) ou même historiques (3,2 % au Japon). En cas de rupture (au conditionnel), les dégâts pourraient ne pas rester confinés au marché des taux.
Au Japon, le catalyseur est l’incertitude autour de la politique budgétaire qui sera menée après les élections à la Chambre haute (20 juillet). Les problèmes budgétaires du Royaume-Uni se sont retrouvés sous les projecteurs la semaine dernière après la décision du Premier ministre, Keir Starmer, de renoncer aux réductions de certaines allocations et la réaction émotionnelle de la chancelière de l'Échiquier, Rachel Reeves, qui a suivi. Le sujet a également fait son apparition à plusieurs endroits dans le rapport sur la stabilité de la Banque d’Angleterre (BoE). Celle-ci explique qu’en plus de l'offre excédentaire d'emprunts (à long terme) liée aux déficits, la demande pour ce type de papiers diminue également. Avec le vieillissement de la population (les avoirs de pension sont récupérés) et l’évolution des facteurs techniques en matière de gestion, la demande des fonds de pension est moins élevée. Parallèlement, la Banque d’Angleterre (comme d’autres banques centrales) est en train de réduire la taille de son portefeuille obligataire. Le président, Andrew Bailey, a indiqué que la BoE tiendrait compte du raidissement de la courbe des taux lors de l’élaboration de son plan de démantèlement progressif pour l’année prochaine. Autrement dit : la banque va vendre moins d’obligations longues et plus d’échéances courtes. Cela peut aider sur le court terme. La question est de savoir si ce type de lutte contre les symptômes permettra de rassurer sur le long terme. La même question se pose pour les pouvoirs publics (Japon, éventuellement États-Unis) qui envisagent d'émettre davantage sur le court terme en raison des coûts trop élevés. Beaucoup de pièces de puzzle éparpillées certes, mais aussi beaucoup de lignes de rupture structurelles.
Retour à l'actualité. Hier, le succès rencontré par l'émission de titres à 10 ans aux États-Unis, pour un montant total de 39 milliards de dollars, a soulagé le marché. Ce matin, l'heure est un peu moins à la fête après le placement "modéré" des obligations à 20 ans au Japon. Nous attendons maintenant l'adjudication des papiers à 30 ans prévue ce soir outre-Atlantique. En espérant qu'elle trouve aussi beaucoup de preneurs. Cela permettrait de traverser plus calmement l'été, période durant laquelle les marchés sont moins liquides. Sur le marché obligataire, le principe TACO ne peut en effet pas être invoqué pour mettre les problèmes de côté.
Taux à 30 ans japonais : l’incertitude persiste.
