EUR/USD: donnez-moi un coup de pied

Lors de son forum annuel à Sintra, au Portugal, la BCE a organisé une table ronde prestigieuse entre les quatre ténors monétaires du moment. La présidente de la BCE, Lagarde, est satisfaite du taux d’inflation général (2%) et a répété qu’avec le taux directeur actuel, la banque centrale était équipée pour faire face à la volatilité et à l’incertitude en tant que de besoin. La semaine dernière, le président de la Fed, Powell, avait évoqué pour la première fois la possibilité d’abaisser plus rapidement le taux directeur. Il est allé encore plus loin: la Fed pourrait frapper à tout moment, à la nuance près que l’impact des tarifs douaniers sur l’inflation ne sera clair que cet été, ce qui exclut d’emblée l’hypothèse d’un abaissement à la réunion de juillet. Sans cette incertitude, elle aurait déjà procédé à un assouplissement. Quant au gouverneur de la Banque d’Angleterre, Bailey, il a de nouveau souligné les signes de ralentissement de la croissance et d’affaiblissement du marché du travail, bien que ceux-ci ne se traduisent pas (encore) par une baisse de l’inflation britannique. Néanmoins, la BoE est en bonne voie pour assouplir à nouveau son taux directeur à concurrence de 25 pb en août. Le gouverneur de la Banque du Japon, Ueda, attend plus de preuves que la pression sur les prix sous-jacente (due aux salaires et à la consommation) continue à évoluer vers l’objectif de 2% avant de poursuivre le processus de normalisation. Le marché ne s’attend à un tel scénario qu’au plus tôt en octobre, d’autant que le président américain Trump veut maintenant faire un exemple du Japon, pour dissuader d’autres pays d’avoir la nuque raide dans le cadre des négociations commerciales avec les États-Unis.
Mais tandis que le quatuor monétaire s’en est tenu au script, plusieurs membres de la BCE se sont laissés aller à un brin d’improvisation. S’il est très rare qu’ils cèdent à la tentation de commenter le taux de change (EUR/USD), il est encore plus exceptionnel que plusieurs membres de la BCE sortent du bois ensemble. Enfin, il est assez inédit qu’une personne cite des niveaux spécifiques (et des actions potentielles à entreprendre). Depuis la création de l’euro, le taux de change EUR/USD moyen a été de 1,1826. Le taux actuel en est proche, ce qui ne pose pas de problème en apparence. Mais Gediminas Simkus, membre du conseil de la BCE, s’inquiète de la rapidité de cette évolution. Il y a un parallèle important à faire avec Trump 1.0. De EUR/USD 1,10 le soir des élections en 2016, le taux était tombé à un plancher de 1,0341 début 2017. Et puis, la même année, il était remonté sans coup férir à 1,2349. Trump 2.0: de 1,08 à 1,0141 et maintenant (sans coup férir) vers…? Le membre du conseil Martins Kazaks souligne l’impact négatif pour le secteur exportateur européen et les risques d’inflation à la baisse. Rappelons qu’en juin, l’effet désinflationniste des fortes révisions à la hausse de la trajectoire attendue du cours EUR/USD, combiné à une révision à la baisse des prix du pétrole, avait décidé la BCE à opérer un dernier (?) abaissement.
Le vice-président de la BCE Luis de Guindos a renchéri. Pour le numéro deux de Francfort, un taux EUR/USD entre 1,17 et 1,20 ne serait “pas un problème”. Après, un euro (trop) fort pourra mettre la BCE en position de contrer avec un nouvel assouplissement. Ces déclarations nous paraissent malheureuses. Pour commencer, les interventions verbales n’ont souvent aucun effet, voire l’effet inverse. Portés sur l’ironie, les marchés donneront volontiers le coup de pied demandé à l’EUR/USD… Et à ce moment-là, la balle sera dans le camp de la BCE. Ensuite, ces déclarations s’inscrivent en porte-à-faux par rapport au plaidoyer de la présidente Lagarde en faveur d’un rôle international plus important pour l’euro en tant qu’alternative au dollar (monnaie de réserve).
Pour parachever la comparaison avec 2017: en septembre 2017, l’appréciation de l’euro avait suscité des commentaires de la part de l’ancien président de la BCE, Mario Draghi. Or finalement, la BCE avait prolongé de six mois (jusqu’en septembre 2018) la durée de son programme d’achat d’actifs, notamment en raison des risques d’inflation à la baisse dans un contexte où elle était à >2%.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC
EUR/USD: parallel tussen Trump 1.0 en Trump 2.0 is groot
