Les taux japonais battent des records

La semaine dernière, les taux américains ont fait couler beaucoup d’encre. Les regards se tournent vers l’extrémité longue de la courbe, et plus particulièrement le taux à 30 ans. Mais tandis que nous surveillons le flirt avec la limite symbolique des 5%, nous nous sommes récemment laissés distraire par le Japon.
La pression sur les taux d’intérêt à long terme n’est pas une exclusivité américaine et européenne. Le Japon se trouve dans la même situation. Pour l’instant, le taux à 10 ans cote encore en deçà du sommet à 17 ans de fin mars et d’avant le Liberation Day (± 1,6%), mais l’écart n’est plus que de 6 points de base. Quant aux durées plus longues, elles ont déjà atteint un autre stade technique. Depuis mardi, toutes les échéances à partir de 20 ans (2,55%) cotent à leurs niveaux les plus élevés depuis au moins 25 ans. Pour les variantes à 30 (3,15%) et 40 ans (3,63%), nous parlons même de records absolus. C’était une question de temps, ainsi que de dynamique. Celle-ci s’est déclenchée hier, avec l’adjudication ratée d’effets publics japonais à 20 ans. Alors que les taux n’ont jamais été aussi attrayants en 18 ans (à ce moment-là), il y a eu remarquablement peu d’acheteurs. C’est ce qui a provoqué la frayeur du marché.
Cet incident japonais mérite que l’on s’y attarde, car il illustre la base de notre plaidoyer en faveur de taux structurellement plus élevés, au Japon et bien au-delà. Tout d’abord, il y a la problématique de la dette japonaise. Elle s’élève grosso modo à 250% (!) du PIB. À titre de comparaison, la dette américaine en est actuellement à 100% du PIB, bien qu’elle devrait atteindre au moins 125% dans les années à venir. Au paroxysme de la crise de la dette, la dette publique grecque s’élevait à 175%, avant de grimper à 213% en 2020, l’année de la pandémie. La majeure partie de la dette souveraine japonaise est entre les mains de l’État. Avec ses programmes d’achat d’obligations, la banque centrale (Banque du Japon, BoJ) en a accumulé environ 45% ces dernières années. Les investisseurs nationaux en détiennent quelque 42%. C’est sur cette base stable et fiable que le gouvernement japonais, systématiquement déficitaire, se repose depuis si longtemps. C’est aussi la raison pour laquelle la plupart des observateurs ne s’inquiètent pas trop de la montagne de la dette japonaise.
Mais cette base réputée si stable se fissure de plus en plus, comme nous avons pu le voir mardi. Ce phénomène date de la covid, avec la flambée associée de l’inflation – même dans un pays si longtemps déflationniste. La BoJ met progressivement fin à sa politique de taux ultra-bas et réduit chaque trimestre la quantité d’effets publics qu’elle a achetés. Pour les autorités japonais, cela tombe mal: avec les élections en approche (Chambre des conseillers, juillet), il n’est pas opportun de procéder à un assainissement fiscal. Au contraire, il y a une pression politique croissante pour réduire les impôts. Le vide laissé par la BoJ doit être comblé. Or, l’autre catégorie de bailleurs de fonds domestiques est également en train de faire défection. Sans la promesse d’achat implicite et inconditionnelle de la Banque du Japon comme filet de sécurité, ils deviennent de plus en plus exigeants et réclament une prime pour compenser les risques fiscaux croissants.
Les taux à long terme japonais poursuivent leur chemin vers de nouveaux records
