La BCE devrait inclure les prix des actifs dans son critère d'inflation
Le 23 janvier, la BCE a lancé une évaluation de sa stratégie de politique monétaire, qui devrait être achevée d'ici la fin de 2020. L'objectif d'inflation, mais aussi la manière dont la stabilité des prix et l'inflation en tant que telle sont mesurées devraient figurer en haut de l'agenda. La BCE devrait quantifier l'inflation telle qu'elle se présente dans la réalité économique, en ce compris dans une large gamme de prix d'actifs. Si l'idée est bien étayée conceptuellement par la théorie économique, elle peut sembler difficile empiriquement, mais comme le montre l'analyse de la Fed, elle n'est pas impossible. Il est en effet dangereux d'exclure les prix des actifs car cela peut conduire à un diagnostic erroné selon lequel l'inflation mesurée officiellement est systématiquement trop faible et nécessite en conséquence la multiplication et la prolongation des instruments de relance, alors qu'un critère d'inflation reflétant mieux la réalité économique pourrait déboucher sur la conclusion inverse.
Le 23 janvier, la BCE a annoncé le lancement d'une évaluation de sa stratégie de politique monétaire, qui devrait être achevée d'ici la fin de 2020. Cette évaluation ne remet pas en cause le premier mandat légal de la BCE de maintien de la stabilité des prix dans la zone euro.
La stratégie utilisée par la BCE pour accomplir ce mandat fait l'objet d'un débat actif, portant sur des niveaux alternatifs à l'objectif d'inflation actuel, la communication de la BCE et les options pour de futurs assouplissements quantitatifs. L'élément le plus fondamental de la stratégie de politique monétaire, à savoir la définition conceptuelle de l'inflation, fait toutefois relativement peu débat. Actuellement, la BCE définit la stabilité des prix en fonction de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) pour la zone euro. Toutefois, ainsi que l'a fait remarquer l'ancien membre du Comité de politique monétaire de la Banque d'Angleterre, Charles Goodhart, la définition appropriée de l'inflation est la dépréciation de l'argent et non la hausse d'un indice des prix à la consommation spécifique.
L'évaluation de la stratégie devra se pencher sur la question. Aucune stratégie de politique monétaire, aussi parfaite soit-elle, ne peut en effet accomplir le mandat si la BCE se concentre sur le mauvais concept. Les gouverneurs de la BCE Yves Mersch (actuellement) et Benoît Coeuré (précédemment) ont récemment souligné l'écart entre la perception du public et les mesures officielles de l'inflation dans la zone euro. Selon une enquête de la Commission européenne, les ménages considéraient en effet que l'inflation annuelle dans la zone euro avait atteint près de 9% entre 2004 et 2018, alors qu'elle n'avait été que de 1,6% sur la base de l'IPCH. Et si les résultats de cette enquête donnaient globalement une image précise et si l'inflation IPCH officielle ne reflétait plus entièrement la réalité économique?
Cela voudrait dire que la BCE rate un élément dans sa quantification actuelle de l'inflation et si tel est le cas, cette lacune aurait de graves conséquences. En janvier 2020, l'inflation IPCH était de 1,4%, ce qui est loin d'être 'proche de 2%'. Cela pourrait conduire la BCE à croire à tort que ses instruments de relance actuels restent nécessaires, voire doivent être renforcés, pour stimuler l'inflation officielle, alors que l'inflation réelle a peut-être déjà atteint, voire même dépassé, le niveau souhaité. Dans ce cas, un resserrement de la politique monétaire serait plus approprié que de nouvelles mesures de relance.
Les résultats de la même enquête impliquent en outre que la politique monétaire a bien un impact sur l'inflation. Cette inflation n'est tout simplement pas prise en compte dans la mesure basée sur l'IPCH. Cette approche s'oppose à la proposition d'un récent Document de travail de la BCE1 suggérant que la politique monétaire menée par la BCE au cours de la dernière décennie est de moins en moins capable de relever une inflation obstinément faible vers l'objectif d'inflation.
Il y a bel et bien de l'inflation
Comment expliquer le paradoxe d'une période prolongée de politique monétaire extrêmement stimulante dans la zone euro coïncidant avec une inflation officielle largement inférieure à l'objectif ? Une partie de la réponse réside dans le fait que la politique de relance monétaire a engendré une croissance significative de la monnaie au sens étroit (M1), qui est assez intimement liée à la politique monétaire et au secteur financier. La croissance de la monnaie au sens large (M3) a en revanche été beaucoup plus modérée (graphique 1). Or, c'est la masse monétaire au sens large qui est utilisée pour acheter des biens et des services et qui influence donc l'inflation IPCH officielle.
L'expansion monétaire de la BCE a donc eu un impact particulièrement marqué sur le secteur financier. L'inflation est aussi moins visible dans les prix des biens et des services que dans les prix des actifs (financiers). Tout comme l'inflation IPCH peut être pilotée par différentes composantes de l'IPCH (services, biens, énergie, alimentation, ...) à un moment donné, l'inflation réelle semble actuellement être pilotée par la composante de l'inflation des 'prix des actifs' plutôt que par les composantes de l'indice IPCH.
Les prix des actifs sont pertinents
Une première étape pour en tenir compte consiste à rouvrir le débat pour savoir si et - si tel est le cas - comment les coûts imputés de l'habitation propre peuvent être inclus dans la mesure de l'inflation. Contrairement à l'IPC aux États-Unis, le panier actuel de l'IPCH ne comprend que les loyers effectivement payés. Par conséquent, l'inflation des prix de l'immobilier, qui est étroitement liée au niveau des taux et donc à la politique monétaire, est largement ignorée. Selon une estimation récente d'Eurostat, les coûts de logement représentent environ 24% de la consommation des Européens et leur prise en compte appropriée augmenterait actuellement l'inflation mesurée de pas moins de 0,3 point de pourcentage dans la zone euro.
Le plaidoyer en faveur de l'intégration des prix des actifs dans une mesure d'inflation adéquate ne se limite pas aux prix des logements. Théoriquement, la nécessité d'intégrer un large éventail d'actifs financiers, parmi lesquels les cours des actions, est depuis longtemps documentée dans la littérature (par Alchian, Klein et Goodhart, entre autres). Le poids des actifs financiers dans un tel indice des prix peut varier d'une économie à l'autre. La difficulté réside dans la construction empirique. La version 'full dataset' de l'indice de la jauge d'inflation sous-jacente (UIG) de la Fed de New York montre toutefois que cela est possible. L'indice UIG comprend entre autres les obligations d'État et d'entreprises, l'immobilier, les actions et les matières premières. Il n'est donc pas surprenant que depuis janvier 2014, l'inflation UIG soit en moyenne 75 points de base plus élevée que l'inflation IPC officielle aux États-Unis.
Tout cela suggère que la politique actuelle de la BCE stimule effectivement l'inflation, mais pas dans les composantes mesurées par l'IPCH officiel. Au contraire, l'inflation apparaît principalement sous la forme de l'inflation des prix des actifs. Les implications pour la politique à court terme sont claires: toujours plus de la même chose donnera toujours plus du même résultat. Tout justifie donc l'amorce de la normalisation de la politique monétaire, avec pour avantage supplémentaire l'atténuation de certains effets secondaires économiques négatifs de la politique monétaire actuelle. Les prix des actifs ne doivent donc pas être complètement ignorés dans la mesure de l'inflation et la détermination de la politique monétaire.
1. “A tale of two decades: the ECB’s monetary policy at 20”, Working Paper 2346, december 2019