La Dancing Queen porte un nouveau coup au Brexit avec de nouvelles règles en matière d'immigration
Theresa May dansant sur Dancing Queen... La ruse est politique: manier l'humour pour calmer l'amertume des Brexiteers. Avec sa performance et son discours lors du récent Congrès du Parti conservateur britannique, la Première ministre Theresa May a renforcé sa position politique. Les vraies négociations du Brexit peuvent à présent commencer. Simultanément, la décision du gouvernement britannique de durcir la politique migratoire - pour s'assurer un soutien plus large au sein du parti - hypothèque la puissance économique future de la Grande-Bretagne. L'économie britannique a besoin d'immigration. Alors que le Brexit n’est pas encore effectif, l'afflux de travailleurs étrangers au Royaume-Uni se réduit déjà, en particulier en provenance de l'UE. La décision de limiter l'immigration en provenance de l'UE27 va accentuer l'exiguïté du marché du travail britannique, provoquer une fuite des cerveaux et détériorer les perspectives économiques du pays.
Pays d'immigration
Le thème de l'immigration a dominé la période précédant le référendum sur le Brexit en 2016. L'afflux massif de main-d'œuvre étrangère mécontentait de nombreux citoyens britanniques, les problèmes sociaux et les défis économiques étant pour beaucoup synonymes de l'échec d'une politique migratoire trop ouverte. L'Europe a été montrée du doigt pour l'absence de contrôles efficaces à ses frontières extérieures et la circulation trop facile des transmigrants vers le Royaume-Uni. Pour de nombreux migrants, le Royaume-Uni reste une destination attrayante. D'une part parce que le Royaume-Uni présente un certain nombre d'avantages pour les migrants, tels qu'une population importante issue de l'immigration, qui constitue un filet de sécurité pour ses compatriotes, et un marché du travail attrayant ; d'autre part parce que le Royaume-Uni est toujours considéré comme un tremplin vers les États-Unis. Les enquêtes menées auprès des immigrants montrent que les opportunités d'emploi au Royaume-Uni sont leur principale motivation. L'immigration au Royaume-Uni a en effet considérablement augmenté ces dernières années. Il ne fait aucun doute que cette vague migratoire a confronté le gouvernement, les autorités locales et la population britanniques à des défis majeurs. L'immigration massive a toutefois aussi largement profité au Royaume-Uni. Or, ces avantages risquent aujourd'hui d'être annulés par une politique migratoire plus stricte.
Le Royaume-Uni affiche une tradition de politique migratoire ouverte. La position britannique sur l'élargissement de l'UE à l'Europe centrale et orientale en est un bon exemple. Avec l'élargissement à l'Est de l'Union européenne en 2004 et 2007, de nombreux pays d'Europe occidentale craignaient d'être submergés par les travailleurs d'Europe de l'Est en quête d'une vie meilleure et de revenus plus élevés. C'est pourquoi, lors des négociations d'adhésion, des accords ont été conclus pour restreindre temporairement la libre circulation des travailleurs. Trois pays ont choisi d'accorder le libre accès aux travailleurs d'Europe de l'Est, à savoir la Suède, l'Irlande et le Royaume-Uni. Plusieurs études montrent aujourd'hui que la politique d'immigration relativement ouverte de ces pays a fortement stimulé leur économie.
Impact économique
En ce qui concerne plus particulièrement le Royaume-Uni, de nombreuses études1 confirment que l'immigration a eu un impact positif sur la croissance économique du pays et d'autres montrent que l'immigration n'a pas réduit les possibilités d'emploi de la population autochtone. L'immigration a en revanche creusé l'inégalité des revenus par son effet négatif limité sur les salaires les plus bas. L'immigration des travailleurs peu qualifiés a contribué à la flexibilisation du marché du travail, qui a profité à l'industrie, mais surtout à l'horeca et au secteur du tourisme. Enfin, l'immigration récente a également contribué à la croissance de la productivité de l'économie britannique grâce aux économies de coûts réalisées dans le processus de production.
De nombreuses études tentent aujourd'hui de mesurer l'impact économique du Brexit sous toutes ses formes. Ces études se concentrent principalement sur les effets sur le commerce international et s'intéressent éventuellement aux effets sur l'investissement. L'impact d'une nouvelle politique migratoire a été beaucoup moins pris en compte. Un nombre limité d'études ont calculé l'impact isolé de la réduction de l'immigration (p. ex. Forte et Portes, 2016). Ces études font état d'un impact négatif sur la croissance économique britannique, d'une ampleur équivalente à celle des effets commerciaux. Si l'on tient compte des changements apportés à la politique migratoire, l'effet négatif du Brexit sur la croissance, constaté dans la plupart des autres études d'impact, doublerait. Ceci ne constiute toutefois pas la conclusion finale car seule une analyse intégrée des effets du Brexit sur le commerce, l'investissement et l'immigration brosse un tableau exhaustif. Cet exercice s'avère extrêmement complexe, à l'image de l'ensemble du Brexit bien entendu.
Sans attendre le Brexit
Les chiffres récents de l'immigration montrent que de nombreux migrants de l'UE n'attendent pas le Brexit pour quitter le Royaume-Uni. L'afflux net en provenance de l'UE diminue sensiblement, bien qu'il reste positif (graphique 1). Alors que de nombreux immigrants de l'UE retournent dans leur pays d'origine, le Royaume-Uni continue d'attirer les nouveaux immigrants de l'UE. Toutefois, la baisse de l'afflux net en provenance de l'UE contraste fortement avec l'accroissement de l'afflux net en provenance de pays hors UE.
Figure 1 - Immigration à long terme au Royaume-Uni (en milliers)
Il est frappant de constater que le niveau d'instruction des immigrants de l'UE au Royaume-Uni est particulièrement élevé par rapport à la situation des autres pays européens (graphique 2), 43% des immigrants de l'UE étant titulaires d'un diplôme de l'enseignement universitaire ou supérieur et 42% ayant au moins un diplôme de l'enseignement secondaire. Limiter l'immigration en provenance de l'UE27 risque donc de provoquer une perte considérable de connaissances et de talents sur le marché du travail britannique.
Figure 2 - Migrants en provenance de l'UE par niveau d'éducation, en % (2014)
Think twice
Une politique migratoire plus stricte à l'égard de l'UE27 semble être le levier sur lequel s'appuie Theresa May afin d'obtenir un soutien interne suffisant pour son plan Brexit. Les effets économiques sont probablement si négatifs qu'ils ne font qu'accentuer l'impact économique négatif du Brexit. En conséquence, le marché du travail britannique perd non seulement des effectifs, mais aussi des talents. En outre, le Royaume-Uni compromet ainsi la poursuite à plus long terme d'une intégration économique forte avec le continent européen. La libre circulation des travailleurs est en effet essentielle pour le commerce transfrontalier, en particulier dans les activités de services, qui sont le centre de gravité de l'économie britannique.
1/ Voir aussi un article résumant la situation https://voxeu.org/article/economic-impacts-immigration-uk