Powell enterre la notion d’inflation
Hier, le président de la Fed Powell a fait l’objet d’une audition devant le Sénat, au cours de laquelle il a expliqué son approche et sa politique. Le texte publié au préalable lundi donnait à penser qu’il s’agirait d’un simple “passage obligé”, sans véritable nouveauté. Il est de plus en plus rare que les banquiers centraux surprennent les marchés. Il en a cependant été autrement cette fois-ci.
En premier lieu, Powell a subitement rendu sa carte de membre de la “Team Temporary”. L’année prochaine, il est probable que l’inflation ralentisse. Néanmoins, Powell s’est vu forcé d’admettre que la Fed, comme beaucoup d’autres, a sous-estimé la dynamique inflationniste. Elle s’avère plus forte et plus étendue que prévu et durera sans doute plus longtemps que les banquiers ne l’anticipaient. Outre un problème monétaire et économique, l’inflation est devenue un sujet social et politique majeur. Ce n’est donc pas un hasard si le président de la Fed a tourné casaque dans le sanctum sanctorum politique des États-Unis. Quoi qu’il en soit, le qualificatif de “temporaire” a clairement fait son temps et peut donc être enterré. Par rapport à l’objectif de croissance ou de plein emploi, l’inflation prendra désormais une place relativement plus importante dans l’évaluation de la politique de la Fed. Même l’incertitude liée à l’impact du nouveau variant omicron sur la croissance n’a pas empêché Powell d’annoncer dès à présent son virage. Dans une certaine mesure, il a même renversé les risques: la maîtrise de l’inflation est nécessaire pour assurer une reprise équilibrée du marché de l’emploi. Qu’est-ce que cela signifie concrètement?
Lors de sa réunion du 15 décembre, la Fed examinera l’opportunité d’une réduction accélérée des achats d’obligations. Depuis le mois dernier, la Fed a réduit ses achats de 15 milliards par mois, à partir de 120 milliards. Ils expireront donc à la fin du deuxième trimestre 2022, voire quelques mois plus tôt (à la fin du premier trimestre?). Dès que les achats d’obligations auront pris fin, la Fed pourra mettre en jeu sa véritable arme anti-inflation: des taux directeurs plus élevés. Cela laisse entrevoir un scénario dans lequel la Fed augmentera systématiquement le taux directeur de 25 pb (au moins?) à partir du deuxième trimestre. La semaine dernière, le marché avait déjà intégré cette perspective; mais l’annonce du variant omicron l’a “refroidi”.
La réaction du marché nous paraît très familière. La courbe des taux américaine s’est à nouveau aplanie. Les taux à court terme ont fortement augmenté (+ 8 pb à 2 ans). En même temps, malgré des niveaux déjà très bas, les taux d’intérêt à long terme n’ont pas beaucoup fluctué. Le marché table sur un cycle de resserrement à court terme en raison des risques de croissance. De même, les taux réels ont à nouveau baissé. En principe, une courbe plus plate avec des taux à court terme plus élevés devrait favoriser le dollar. Le cours EUR/USD est temporairement tombé de 1,1375 à environ 1,125, pour finalement clôturer la journée sur un solde positif (1,134). Un peu décevant pour les “bulls” du dollar… Il se peut que l’idée d’un cycle de taux à court terme et la baisse des taux réels modèrent les ardeurs des investisseurs vis-à-vis du dollar. En même temps, la pression sur l’euro s’est quelque peu atténuée ces derniers jours: les tenants de l’euro entretiennent peut-être l’idée que Lagarde, Lane et leurs collègues commencent à se sentir très seuls dans la “Team Temporary”. Un virage à 180° serait-il en vue en Europe aussi? Ce ne serait pas illogique, ne serait-ce que vu l’inflation UEM record de 4,9% enregistrée hier. Néanmoins, jusqu’à nouvel ordre, nous faisons toujours partie de l’équipe de Thomas l’incrédule: nous demandons à voir avant d’y croire. D’un point de vue technique, le cours EUR/USD évolue dans un schéma de consolidation à court terme entre 1,1186 et 1,1525. Il ne sera question d’une éclaircie pour l’euro qu’en cas de reprise au-dessus de ce dernier niveau.