Les taux d’intérêt réels au plus bas: bonne ou mauvaise nouvelle?
C’était le rêve des banquiers centraux: une inflation légèrement supérieure à l’objectif de politique. Quelques chiffres récents pris au hasard… Ce matin, les prix à la production chinois ont connu la plus forte poussée inflationniste en 26 ans (13,5% en glissement annuel); l’inflation des prix à la consommation (1,5%, mais plus élevée que prévu) est encore freinée par la baisse (de plus en plus modérée) des prix alimentaires. Aux États-Unis, les prix à la production se sont “stabilisés” au sommet cyclique de 8,6% en glissement annuel. Et hier en Europe, l’inflation hongroise a grimpé de 5,5% à 6,5%, atteignant encore un palier plus élevé que prévu.
Petit rappel de la raison économique pour laquelle une inflation trop faible doit absolument être évitée. L’inflation, espère-t-on, suit une forte demande sur le marché: le problème de la sous-utilisation des capacités disparaît, y compris sur le marché du travail, et la hausse des salaires permet à tout le monde de prendre une part du gâteau de la prospérité. Pour les banques centrales aussi, une inflation plus élevée est une bonne chose, car avec une inflation structurellement basse (voire négative), il est difficile de soutenir l’économie en cas de repli. Même avec un taux d’intérêt nul, le taux réel (= taux nominal – taux d’inflation) reste relativement élevé, ce qui réduit l’efficacité des incitants économiques. Il faut alors avoir recours à d’autres “astuces” (achats obligataires, taux négatifs difficiles à mettre en œuvre, etc.).
Revenons-en à l’actualité économique et aux marchés, où entre-temps, l’inflation a donc largement dépassé l’objectif. Les prévisions d’inflation, mesurées d’après les swaps d’inflation (à 10 ans), sont supérieures à 2,0% en Europe. Aux États-Unis aussi, elles ont bondi en direction de 3%. Vu la faiblesse persistante des taux nominaux (qui est notamment due à l’assouplissement quantitatif), les taux réels sont en territoire négatif. Après une reprise limitée en septembre, le taux d’intérêt réel à 10 ans aux États-Unis a renoué avec son plancher historique, proche de -1,20%. Même chose pour le taux réel allemand à 10 ans (-2,20%!). Selon la logique que nous avons exposée ci-dessus, cela devrait donner un sérieux coup de pouce à l’économie… en théorie. Mais sur le plan de la croissance, les marchés ne sont guère optimistes. C’est plutôt le doute qui plane. La décision de la BoE de ne pas relever ses taux exprimait son dilemme: en effet, l’inflation actuelle ne reflète qu’en partie une croissance généralisée de la demande et n’est pas du tout le résultat d’une hausse des salaires. Elle découle surtout de déficits et de problèmes du côté de l’offre. Or ce type d’inflation fait obstacle à la croissance, ce qui n’était pas prévu. La faiblesse des taux réels devient l’expression de la crainte du marché que les banquiers centraux ne doivent se livrer à un exercice difficile, à savoir, freiner l’inflation sans ralentir inutilement la croissance; croissance qui est déjà sous pression à cause de cette taxe inflationniste inattendue. À cet égard, la réaction des bourses est (quelque peu) illustrative. Dernièrement, la faiblesse des taux réels était pratiquement la garantie d’une hausse des marchés, surtout dans les secteurs sensibles à la croissance. Il est vrai que les indices d’actions se maintiennent aux alentours de sommets cycliques (en Europe) voire historiques (aux États-Unis) – mais l’effet de levier de la faiblesse des taux réels semble s’amenuiser. Encore une fois, la faiblesse des taux d’intérêt traduit les doutes relatifs à la croissance plutôt que l’effet des incitants et l’espoir que la reprise se poursuivra, comme c’était le cas il y a peu.
Et maintenant? Peut-être faut-il espérer que les banques centrales auront finalement raison est que l’inflation est en effet temporaire. Cet après-midi, l’inflation américaine mettra à nouveau cette hypothèse à l’épreuve. Elle devrait encore avoir progressé (5,9% contre 5,4%). Nous ne nous attendons pas à un résultat transformateur: si l’inflation est élevée, la tendance d’un équilibre précaire entre des prévisions d’inflation élevées et des taux réels (plus) bas se maintiendra sans doute. Mais nous pouvons envisager une hypothèse moins intuitive: que se passerait-il si l’inflation (pour ce mois-ci ou plus tard) était bien inférieure aux attentes? Le marché est obnubilé par l’inflation et un chiffre n’y changera pas grand-chose. Toutefois, il ne nous étonnerait pas qu’un tel scénario mette le holà à la chute “effrénée” des taux (réels et peut-être aussi nominaux), plutôt qu’une hausse de l’inflation.