Il n’y a plus de certitudes…
Ces derniers jours, le yen a connu une période difficile. Pas seulement contre un dollar fort: le cours EUR/JPY a également rebondi, même si la monnaie unique n’a pas brillé face à d’autres devises “majeures”. Une fois n’est pas coutume, la devise japonaise n’a pas profité de l’incertitude ambiante.
Le cours du yen fluctue rarement en fonction de facteurs domestiques, mais dépend principalement des tendances générales. De ce fait, la devise japonaise a rejoint le club sélect des “valeurs refuges”. Par temps houleux sur les marchés, les investisseurs y trouvent (ou y trouvaient?) un abri, comme auprès du dollar, du franc suisse, des bons du Trésor américain et de l’or. Ce statut est en partie dû aux qualités intrinsèques du yen: le Japon a une dette élevée, mais n’est pas tributaire du monde extérieur pour son financement, ce qui lui donne une position forte. Lorsque le sentiment est positif, les investisseurs japonais placent leurs excédents dans des actifs étrangers à haut rendement. Lorsque les marchés se portent moins bien, ils rentrent au bercail et (r)achètent des yens. Les taux d’intérêt structurellement faibles du Japon ont renforcé cette dynamique, exploitée par des acteurs nationaux et étrangers pour financer des “carry trades” dans des actifs à plus haut rendement et/ou plus risqués. Le résultat: une corrélation (qui s’autoalimente), le yen augmentant généralement quand les marchés et/ou les taux sont en baisse, et inversement.
Mais les corrélations de marché ne sont pas des lois immuables. Récemment, les actifs risqués ont moins bien presté, mais le yen n’en a guère profité. Le graphique ci-joint explique en partie ce phénomène. Depuis le début de l’année, la hausse du différentiel USD/JPY (baisse du yen) va de pair avec une hausse des taux américains. En soi, c’est tout à fait normal. Mais dans la mesure où cette hausse des taux d’intérêt (en partie due à l’inflation) devient elle-même source d’incertitude, la corrélation entre le yen et l’aversion au risque pourrait se rompre. À quoi le yen réagira-t-il: à l’aversion au risque (positif pour le yen) ou à la hausse des taux externes (négatif pour le yen)? Ce dilemme ne ferait que s’accentuer si les taux réels en dehors du Japon augmentaient fortement. Pour l’instant, ils restent très bas (-0,90% à 10 ans aux États-Unis, -2,0% en Allemagne), mais un renversement de la tendance est peut-être en marche. Une hausse des taux (réels) en dehors du Japon se solderait par un coût d’opportunité plus élevé pour la détention de yen. Et comme le Japon sera l’un des derniers pays à normaliser sa politique monétaire, ce désavantage relatif menace de s’accentuer. Le modèle économique du yen en tant que valeur refuge est sous pression.
Et ce n’est pas seulement le cas du yen: l’or a récemment eu du mal à manifester une fonction de réaction cohérente. Théoriquement, l’or était/est une protection contre l’inflation, surtout dans un contexte de création monétaire – des lingots ne pouvant pas être imprimés à tour de bras. Quand l’action des banques centrales contre l’inflation fait grimper les taux (réels), le coût d’opportunité de la détention d’actifs non productifs d’intérêts comme l’or augmente. Cependant, malgré l’inflation plus élevée et d’autres sources d’incertitude économique et financière, l’évolution de l’or a été étonnamment mesurée.
Dans le groupe des “devises refuges”, le franc suisse a pour l’instant tenu bon, sans qu’il y ait d’explication univoque. L’on peut noter que le franc évolue dans un contexte européen. La récente hausse des taux dans l’UEM était surtout due aux prévisions d’inflation et non à une hausse des taux réels, ce qui a offert un répit au CHF. Mais si la banque centrale suisse (SNB) s’inscrit dans une logique de normalisation monétaire et que la réduction progressive des achats d’obligations de la BCE entraîne une hausse des taux réels européens, le CHF pourrait aussi se retrouver en difficulté, même dans un contexte d’aversion au risque. Par ailleurs, notons que la BOJ comme la SNB n’auront aucun scrupule à se défaire de l’étiquette (ou des chaînes?) d’une “valeur refuge”. Un affaiblissement de la devise serait une évolution bienvenue pour (contribuer à) repousser enfin le spectre de la déflation.