Le marché met Powell au défi
Le président de la Fed a ajusté son discours hier. Jerome Powell tient la hausse des taux à long terme à l'œil. Jusqu'à présent, le patron de la banque centrale estimait que le raidissement de la courbe des taux était une réflexion de la prospérité économique. Aujourd'hui, c'est surtout la vitesse de la hausse des taux qui risque de poser problème si elle influence d'autres paramètres financiers, qui, à leur tour, rendront plus difficile la réalisation des objectifs en matière d'emploi et d'inflation.
Examinons d'abord plus en détail ce que signifie la notion de "paramètres financiers". Un jargon professionnel pour les uns, un véritable mystère pour les autre. Ces mots peuvent vouloir dire beaucoup de choses. Nous pensons tout d'abord aux taux hypothécaires. La hausse sur la partie longue de la courbe se répercute sur les tarifs des prêts immobiliers. Aux États-Unis, le taux d'intérêt hypothécaire à 30 ans a dépassé les 3% pour la première fois depuis juillet. Avec le temps, la demande de nouveaux crédits ou de refinancements ralentira. Un deuxième facteur est la prime de risque de crédit que les entreprises paient pour pouvoir se financer. La politique extrêmement souple de la Fed a entraîné une forte baisse de ces primes de risque, comparable à l'impact de la politique de la BCE sur les spreads intra-EMU. Une hausse des taux entraîne une hausse des primes, ce qui, à terme, pourrait peser sur, par exemple, les investissements des entreprises. En troisième lieu, on peut aussi pointer la bourse Un regain de volatilité est un effet secondaire d'une hausse désordonnée des taux à long terme. Et cette même volatilité engendre souvent des corrections sur les marchés boursiers. La corrélation positive entre les bourses et les cours obligataires a alors un effet négatif sur la richesse. Et cela peut alors se traduire par un ralentissement de la consommation. Un dernier facteur déterminant est le dollar américain. Ces derniers jours, le billet vert s'est nettement mieux comporté dans le climat d'incertitude. Or, un dollar fort peut avoir un impact négatif sur la croissance en raison d'une faible demande pour les biens américains (exportations).
Une détérioration des paramètres financiers a donc pour effet de freiner la croissance économique, ce qui équivaut de facto un resserrement involontaire de la politique monétaire. Selon Powell, la Fed dispose, si nécessaire, des moyens pour régler la cause du problème (hausse trop rapide des taux). Un sentiment de déjà-vu, après les déclarations de la présidente de la BCE, Christine Lagarde, en fin février. Hier, la réaction du marché a été encore plus marquée. Les taux américains à long terme ont grimpé jusqu'à 10 points de base, les bourses américaines ont perdu jusqu'à 2,5% à des premiers niveaux de support et le dollar a flambé Ce matin, le cours EUR/USD a atteint de nouveaux planchers, sous 1,1950. Une clôture en dessous de ce niveau ouvrira une nouvelle fourchette de fluctuation entre 1,16 et 1,1950.
La prochaine réunion de politique de la Fed aura lieu le 17 mars. Les procès-verbaux des réunions précédentes évoquaient, entre autres, la possibilité de déplacer le centre de gravité des achats mensuels d'obligations (120 milliards de dollars) vers la partie longue de la courbe. À court terme, il s'agit de la solution la plus simple pour tenter de maîtriser les taux longs. Les partisans de l'introduction de plafonds de taux sur certaines échéances (contrôle de la courbe) pourraient aussi de nouveau gagner de la voix. Et qui sait, le débat sur une réduction du rythme des achats mensuels d'obligations ne se transformera peut-être pas en un seul et unique débat sur le renforcement des interventions!
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC