2021: une redite de 2013?
Cette année, assisterons-nous à une réédition de la panique faisant suite à la fin brutale des achats d’actifs – “taper tantrum” pour les connaisseurs – de 2013? Il y a huit ans, le président de la Fed, Ben Bernanke, avait donné une attaque aux marchés en rompant un tabou: les achats d’obligations de la Fed ne devraient pas durer éternellement, ni se maintenir pendant trois jours au même rythme. Une amélioration de la situation économique va de pair avec la fermeture du robinet de liquidités. La crainte d’un sevrage brutal avait fait passer le taux américain à 10 ans de 1,5% à 3% en l’espace de six mois. Mais finalement, la panique des marchés s’est avérée injustifiée: la Fed n’a pas changé son bilan. Si les achats nets se sont progressivement amenuisés, la Fed a continué à réinvestir tous les moyens des obligations arrivant à échéance dans de nouveaux actifs. Ce n’est que lorsque cette mesure a également expiré que la panique s’est vraiment manifestée, fin 2018. Et elle n’a pas seulement atteint les marchés des taux. C’est en 2019 que la Fed a conclu le processus de réduction progressive du bilan; et puis, par la force des choses, les cordons de la bourse sont de nouveau desserrés en 2020. La dernière directive de décembre stipule que le rythme actuel d’achats (120 milliards de dollars/mois) restera d’application jusqu’à ce que des progrès suffisants aient été réalisés en vue du double objectif de politique d’un emploi maximal et de la stabilité des prix.
Par conséquent, quand les achats d’obligations seront-ils réduits? Plusieurs gouverneurs de la Fed ont déjà été confrontés à la question dès ce début d’année. Les avis divergent, mais une ligne commune s’en dégage plus ou moins. Tout d’abord, les membres de la Fed s’attendent à ce que le lever du drapeau démocrate sur la colline du Capitole et la Maison-Blanche, combiné au lancement de la campagne de vaccination, restaure la prospérité économique au deuxième semestre de 2021. Les six premiers mois, le parcours risque cependant encore d’être mouvementé. Dans un tel scénario, le président de la Fed d’Atlanta, Raphael Bostic, estime qu’une réduction progressive des achats mensuels se justifierait à partir de fin 2021. La plupart de ses collègues veulent pouvoir en discuter après l’été, mais plaident provisoirement pour au moins 12 mois de stabilité. Le président de la Fed de Richmond, Tom Barkin, a souligné que le niveau d’inflation et le taux de chômage n’ont pas changé depuis l’introduction de la nouvelle politique de communication qualitative: autrement dit, il s’étonne du fait que le mois dernier, l’évocation du début de la réduction progressive des achats d’obligations n’ait pas causé de réaction, non plus que la possibilité d’une telle évolution dès 2021. Le vice-président de la Fed, Richard Clarida, a confirmé que la banque centrale américaine avait tiré des leçons du passé. Selon nous, il entend par là que toute réduction sera communiquée progressivement, clairement et bien à l’avance, par analogie avec la politique de la BCE sous la présidence de Mario Draghi. En Europe, la réduction des achats nets n’a pas perturbé le marché des taux. Plus tard cette semaine, plusieurs autres membres de la Fed se pencheront sur le débat, dont les ténors Powell et Brainard.
Quoi qu’il en soit, ces discussions en elles-mêmes contribuent d’ores et déjà au raidissement de la courbe des taux américaine. Le taux américain à 10 ans a grimpé à 1,15%, son niveau le plus élevé depuis le mois de mars 2020. Les taux réels sous-jacents, qui dépendent notamment des prévisions de croissance et de productivité futures et de la politique monétaire, laissent aussi derrière eux les profondeurs qu’ils avaient atteintes. D’un point de vue technique, les planchers de 2016 (1,32%), 2012 (1,38%) et 2019 (1,43%) constituent la première référence vraiment importante. Mais la conquête de cette zone ne se fera pas sans efforts – et certainement pas si les marchés sont en proie à l’angoisse d’une réduction anticipée du programme d’achat d’actifs.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC