Coronavirus: perturbations en chaîne
Le coronavirus. Il y a un mois et demi, la position du marché était "simple". Il s'agissait d'un "événement extérieur" qui allait surtout toucher la Chine de manière provisoire. Les investisseurs s'étaient donc positionnés en prévision d'une "reprise en V". Ce "V" s'est ensuite progressivement transformé en "U" et certains commencent maintenant à redouter une évolution plus lente en "L". Le coronavirus a surpris en mettant en branle toute une série de mécanismes peturbateurs. Il était naturellement logique que le marché se repositionne afin d'intégrer les conséquences de l'épidémie sur des segments de l'économie se trouvant en première ligne (comme le secteur des voyages, par exemple). Mais le Covid-19 a aussi progressivement infecté d'autres segments auxquels on aurait pas pensé a priori.
Le premier exemple est le marché du pétrole. On aurait pu s'attendre à ce que la demande d'hydrocarbures suive aussi un schéma "en V", comme le reste de l'économie. Mais la politique s'en est mêlée. L'OPEP+ (l'OPEP plus ses partenaires, parmi lesquels la Russie) devait prendre une décision sur la manière de répartir les effets du recul de la demande via des réductions de production, dans le but d'atténuer la chute des prix pétroliers. Pour des raisons d'agenda politique de certains, aucun accord n'a finalement pu être trouvé. Au contraire, l'Arabie saoudite et la Russie se sont lancées dans une guerre économique en vue de défendre leurs parts de marché, faisant ainsi dégringoler le cours du baril. En soi, cela constitue un choc de l'offre positif pour les pays qui importent du pétrole. Ce plongeon de l'or noir a néanmoins, via un jeu de liens financiers et économiques, créé encore plus d'incertitudes. Beaucoup d'investisseurs comptaient en effet sur les cash-flows d'activités liées au pétrole et aux matières premières et de nombreuses entreprises sont en outre liées, directement ou indirectement, au secteur pétrolier, surtout aux États-Unis. L'année passée, le conflit commercial avait déjà montré à quel point des chaînes d'approvisionnement stables et prévisibles étaient importantes pour l'économie. La "crise pétrolière" actuelle vient encore confirmer ce constat. Lorsque l'on tire trop sur la corde dans un marché complexe comme celui du pétrole, les perturbations qui en découlent pèsent plus lourd dans la balance que le choc de l'offre théoriquement positif d'une diminution de la facture pétrolière.
Autre exemple cette nuit. Le président américain, Donald Trump, a expliqué ce qu'il comptait faire pour lutter contre l'épidémie du coronavirus. Il a évidemment annoncé des mesures visant à soutenir les citoyens et les entreprises qui sont touchés par cette crise. Certaines mesures ne sont pas très claires et il est difficile de savoir quelles sont celles qui seront approuvées par le Congrès. Mais ces mesures ont quoi qu'il en soit été reléguées au second plan par une autre décision choc, à savoir celle d'interdire aux Européens d'entrer aux États-Unis pendant 30 jours. Cette décision ne peut être interprétée autrement que comme une manière "déguisée" de faire encore monter d'un cran la guerre commerciale entre les États-Unis et l'Europe. Le fait que Trump se soit trompé dans son discours en expliquant dans un premier temps que les marchandises et le commerce étaient aussi visés par l'interdiction (erreur qu'il a ensuite rectifiée) est à ce titre révélateur. Un bel exemple de comment perturber inutilement les chaînes d'approvisionnement/le tissu économique! La réaction du marché ce matin en dit long.
En parlant de possibles perturbations, il est aussi intéressant de regarder du côté des crédits et des liquidités. La situation actuelle n'est pas comparable à celle de 2009. Les liquidités sont aujourd'hui excédentaires en raison des politiques menées par les banques centrales. Tous ceux qui sont solvables peuvent en principe obtenir des liquidités, et même à des conditions relativement avantageuses. Plusieurs gouvernements ont en outre aussi déjà annoncé des mesures visant à soutenir encore davantage l'octroi de crédit, en particulier aux PME. En espérant que le lapsus de Trump de cette nuit clôturera cette série de perturbations inutiles du système financier et économique. Tout à l'heure, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, aura l'honneur d'annoncer des mesures, en collaboration avec les gouvernements, censées ramener un peu de sérénité sur les plans financier et économique. Nous verrons demain dans quelle mesure cela a fonctionné.