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Le nouveau cadre fiscal de la CE : un pas dans la bonne direction

Opinion économique

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Avec les idées qu’elle vient de publier pour réformer le cadre budgétaire européen, la Commission européenne (CE) fait un pas dans la bonne direction. Le remplacement de la quasi-totalité des règles complexes existantes par une norme de dépenses sur laquelle les décideurs politiques ont un impact direct représente une simplification drastique et renforce la responsabilité des décideurs politiques. L’intégration de la politique budgétaire, de la réforme économique, des plans d’investissement et, le cas échéant, de la stabilité macroéconomique dans un plan d’action unique axé sur le moyen terme peut renforcer la coordination des politiques. En incluant dans ce plan pluriannuel des exigences de réduction de la dette publique propres à chaque pays, en tenant compte des risques de viabilité de la dette publique existante, les objectifs d’assainissement budgétaire et le renforcement du potentiel de croissance économique peuvent, en principe, être conciliés. Ainsi, les problèmes délicats du cadre actuel sont corrigés.

Mais la nouvelle façon de travailler créerait également de nouvelles discussions, complexes et parfois politiquement chargées, avec une marge pour les décisions discrétionnaires. Le rôle de la CE dans le nouveau cadre politique est similaire à celui qu’elle joue dans l’attribution de l’aide NextGenerationEU aux États membres. La CE consolide et élargit ce rôle, augmentant inévitablement son caractère politique, sans aucune proposition pour renforcer sa légitimité démocratique. Il n’y a pas non plus de propositions pour un budget central plus important (capacité fiscale) – une pierre angulaire nécessaire pour une union monétaire stable. Ainsi, les idées de la CE n’apportent pas le chaînon manquant pour une union monétaire stable et à part entière. Elles constituent un pas dans la bonne direction, mais certainement pas l’étape finale.

Un cadre fiscal inadapté…

La Commission européenne (CE) a publié ses idées sur la réforme du cadre budgétaire européen le 9 novembre 2022. Ce cadre doit permettre d’éviter que la stabilité de l’union monétaire européenne ne soit mise à mal par un déraillement des finances publiques des États membres. À cette fin, le traité de Maastricht, qui a donné naissance à l’euro en 1992, stipule que le déficit des finances publiques d’un pays de la zone euro ne doit pas dépasser 3 % du PIB et que la dette publique ne doit pas dépasser 60 % du PIB, ou du moins évoluer dans cette direction si elle est supérieure.

Ces principes ont été élaborés avant même l’introduction effective de l’euro en 1999 dans le Pacte de stabilité et de croissance (1997), et ont été actualisés et affinés à plusieurs reprises depuis lors, notamment peu après la grande crise de la dette de la zone euro en 2011. En conséquence, les deux règles de base du traité ont évolué vers un ensemble de règles particulièrement complexe. Presque tous les observateurs s’accordent à dire que ces règles doivent être plus simples et plus transparentes.

En outre, le cadre souffre de lacunes importantes. Un document récent du FMI indique sans équivoque que le cadre n’a pas réussi à atteindre son objectif le plus essentiel : gérer de manière fiable les risques budgétaires et le risque de contagion associé vis-à-vis des autres États membres. Le cadre n’a pas permis de s’assurer que les États membres constituaient des tampons budgétaires en période de conjoncture favorable, dans lesquels ils pouvaient puiser en cas de récession économique. La stabilisation cyclique au niveau européen, par le biais d’un budget central, est totalement inexistante.

Le cadre est également insuffisamment favorable à l’investissement public qui, malgré une reprise en 2018-2019, reste à des niveaux historiquement bas (par rapport au PIB) dans la zone euro. Après tout, les réductions de l’investissement public n’ont pas d’inconvénients majeurs immédiats, car les effets de l’investissement public – tant positifs que négatifs – prennent généralement du temps à se matérialiser. C’est pourquoi, dans le cadre de l’assainissement budgétaire, ils sont souvent les premiers à se manifester. Cela s’est produit à grande échelle au lendemain de la crise de la dette de la décennie précédente (figure 1).

À long terme, toutefois, le manque d’investissements publics compromet le potentiel de croissance de l’économie. Aujourd’hui, en particulier, on craint que la réduction de la dette publique dans le cadre budgétaire existant n’entrave les investissements nécessaires à la transition vers une économie verte et numérique.

La pandémie de Covid-19 a provoqué une forte hausse de la dette publique dans la plupart des pays, à partir d’un niveau qui dépassait déjà 60 % du PIB dans 12 des 27 pays de l’UE à la fin de 2019 (figure 2). Cela n’a pas posé de problème aigu car les règles strictes du cadre budgétaire en matière de déficits budgétaires et de réduction de la dette ont été temporairement suspendues en 2020 en raison des circonstances exceptionnelles de la pandémie par l’application de la clause dite d’échappement. Un programme d’achat spécial de la BCE pour (entre autres) les obligations d’État (Programme d’achat d’urgence en cas de pandémie ou PEPP) a permis de financer sans heurts les déficits budgétaires en forte hausse des pays de la zone euro et de ne pas s’inquiéter de la viabilité de la dette publique.

L’application de la clause de sauvegarde doit expirer en 2024, selon les décisions actuelles. Dès lors, les règles strictes autour de la réduction du déficit et de la dette reviendraient en vigueur. D’un côté, cela ne semble pas être un luxe, car la fin du PEPP et la hausse des taux d’intérêt remettent au premier plan la viabilité des finances publiques. D’autre part, l’impression générale est que la règle selon laquelle la différence entre le ratio d’endettement actuel et le seuil de 60 % doit être réduite de 1/20e par an est un objectif irréalisable, en particulier. Sur la base des récentes projections de la CE, pour l’Italie, par exemple, cela impliquerait une réduction de la dette de plus de 4 % du PIB d’ici 2024 ; pour la Belgique, cela impliquerait une réduction de la dette de 2,4 % du PIB.

Dans le contexte de la crise énergétique et des importants besoins d’investissement pour la transition numérique et verte, entre autres, cela est non seulement irréalisable mais aussi indésirable. Certes, le programme NextGenerationEU prévoit qu’une partie des investissements publics pour la transition verte et numérique des économies européennes sera financée par le budget européen. Mais les Etats membres eux-mêmes doivent également apporter une contribution significative. En d’autres termes, il est nécessaire de mettre en place un cadre fiscal qui laisse plus de place aux investissements favorables à la croissance sans compromettre la viabilité des finances publiques.

Encadré – Pas de règle d’or

La CE ne propose pas d’introduire la règle d’or budgétaire. Cette règle ne tient pas compte de l’investissement public lors de l’évaluation du déficit budgétaire en raison de l’idée que pour financer l’investissement, le gouvernement est autorisé à s’endetter. De nombreux observateurs s’attendaient à l’introduction d’une règle d’or, mais la CE l’omet à juste titre. En effet, une telle mesure risque en pratique de créer une explosion des soi-disant “investissements publics” qui sont en fait des dépenses de consommation. De plus, si certaines dépenses courantes, par exemple en matière d’éducation, peuvent également contribuer à renforcer le potentiel de croissance, ce n’est pas nécessairement le cas de tous les investissements publics. Cela n’est pas pris en compte par la règle d’or. La tentation d’une comptabilité créative garantirait cependant des discussions sans fin. En outre, une application économiquement orthodoxe de la règle d’or exige que l’amortissement des actifs publics soit comptabilisé dans le budget. Cela rendrait le cadre budgétaire encore plus complexe. Enfin, la règle d’or en tant que telle ne tient pas compte de l’ampleur de la dette existante. Pour les pays fortement endettés, cela pourrait poser problème.

… à renouveler

La proposition de la CE pour le nouveau cadre fiscal a cette ambition. La quasi-totalité des règles existantes seraient supprimées. Seules la règle des 3 % de déficit budgétaire et celle des 60 % de dette publique sont maintenues. En effet, ces règles ne peuvent être modifiées sans une modification du traité, et une telle modification est actuellement considérée comme irréalisable. Toutes les autres règles du cadre budgétaire seraient remplacées par la CE par une nouvelle norme opérationnelle. Celle-ci couvrirait les dépenses publiques, à l’exclusion des charges d’intérêt et des dépenses cycliques liées au chômage. Seules les dépenses devant être financées par des ressources nationales seraient prises en compte. Les mesures de recettes discrétionnaires sont également prises en compte. L’accent est donc entièrement mis sur les dépenses et les recettes sur lesquelles un gouvernement a un contrôle maximal. L’impact du cycle économique sur le budget n’est pas pris en compte.

Pour toutes ces dépenses, la CE fixerait une norme de croissance pour chaque pays sur la base de ses analyses de la viabilité de leur dette publique. Pour chaque pays, elle définirait une trajectoire de référence d’au moins quatre ans avec une croissance maximale autorisée des dépenses publiques, comme décrit ci-dessus. La norme de dépenses devrait garantir (en principe) qu’à l’issue de la trajectoire de quatre ans, le déficit budgétaire, dans l’hypothèse de politiques inchangées, resterait inférieur à 3 % du PIB pendant les dix années suivantes et, pour les pays dont le ratio d’endettement est supérieur à 60 % du PIB, le ratio d’endettement serait en baisse constante. Les pays présentant un risque faible ou moyen quant à la viabilité de leur dette publique se verront accorder une période d’assainissement budgétaire un peu plus longue que ceux présentant un risque élevé.

Les États membres devront traduire la trajectoire de référence de la CE en un plan de réformes budgétaires et structurelles à moyen terme. Ce plan deviendra la pièce maîtresse du nouveau cadre budgétaire. Il remplacera les actuels plans de stabilité ou de convergence et plans de réforme structurelle. Le plan devrait traduire la trajectoire de référence des dépenses en plafonds de dépenses annuels. Les réformes économiques et les investissements publics devraient également être précisés dans le plan. Si ceux-ci renforcent la croissance économique et améliorent la viabilité de la dette publique, l’assainissement budgétaire pourrait être étalé sur une période allant jusqu’à trois années supplémentaires. Cette modération pourrait permettre de concilier les objectifs d’assainissement budgétaire et le renforcement du potentiel de croissance économique grâce aux investissements et aux réformes.

Le plan à moyen terme serait évalué par la CE et adopté par le Conseil. Les pays présentant d’importants déséquilibres macroéconomiques devraient également inclure des mesures pour y remédier. Cela permettrait de mieux aligner le cadre fiscal non seulement sur les mesures visant à renforcer le potentiel de croissance économique, mais aussi sur la surveillance des déséquilibres macroéconomiques.

Chaque État membre devrait préparer un rapport annuel sur les progrès accomplis, qui servira de base au suivi par la CE et le Conseil. La procédure en cas de déficit budgétaire excessif resterait inchangée en ce qui concerne le suivi de la norme de 3% mais serait durcie pour l’application de la norme de 60%. Ainsi, tout écart par rapport à la trajectoire prédéterminée de réduction de la dette pour les pays présentant des risques élevés en matière de viabilité déclencherait automatiquement la procédure. Une plus grande efficacité des sanctions est également envisagée en affinant et en élargissant l’arsenal. En revanche, la possibilité d’activer une clause d’exemption (telle qu’elle est actuellement applicable) serait préservée pour des circonstances exceptionnelles.

Un pas dans la bonne direction

Les idées de la CE répondent sans aucun doute à d’importantes lacunes du cadre actuel. Les règles du cadre existant qui utilisent des concepts très théoriques, tels que l’écart de production et le déficit budgétaire structurel, qui dans la pratique sont peu transparents et très incertains, sont remplacées par une mesure unique sur laquelle les décideurs politiques ont un impact opérationnel beaucoup plus direct. Cela améliore la simplicité et rend les décideurs politiques plus directement responsables. L’exclusion des dépenses et recettes cycliques de manière simple y contribue également. C’est un pas dans la bonne direction.

D’autre part, les estimations de la viabilité de la dette publique, à partir desquelles la norme de dépenses serait dérivée, ne sont pas plus simples que les concepts théoriques actuellement utilisés. L’estimation de la viabilité de la dette selon des méthodes alternatives est clairement un exercice d’expert, que la CE peut aborder de manière relativement neutre. Mais le choix de la trajectoire de réduction du ratio d’endettement et sa traduction en une norme de dépenses impliquent également des choix politiques. Ceux-ci sont susceptibles de donner lieu à des discussions nouvelles, complexes et parfois politiquement chargées, avec une marge de manœuvre pour des décisions discrétionnaires. Ce faisant, la CE entre potentiellement dans un territoire encore plus politique que dans le cadre actuel.

Cela est également vrai lorsqu’elle évaluera les plans à moyen terme des États membres, notamment lorsqu’elle examinera dans quelle mesure les investissements et les réformes économiques permettraient une réduction plus échelonnée de la dette et du déficit publics. Ce compromis est potentiellement le plus grand levier du nouveau cadre. Il permet aux États membres de travailler non seulement sur le numérateur (la dette en tant que telle) du ratio d’endettement, mais aussi sur le dénominateur (le PIB, en d’autres termes, la taille de la base économique de la dette). Compte tenu notamment de l’augmentation des coûts du vieillissement, il est crucial de renforcer la base économique de soutien. En outre, la centralisation des plans budgétaires, des réformes économiques structurelles et des politiques d’ajustement des déséquilibres macroéconomiques dans un seul plan à moyen terme pour chaque État membre peut accroître l’efficacité de la coordination des politiques.

Mais comme l’économie n’est pas faite de lois des Mèdes et des Perses, l’évaluation des plans à moyen terme peut aussi s’enliser dans des discussions politiques stériles. Le rôle que la CE se donne dans cette évaluation est clairement inspiré de celui qu’elle a joué dans l’évaluation des plans de relance et de résilience préparés par les États membres dans un passé récent pour obtenir le soutien de l’UE de la prochaine génération. La CE propose de consolider et d’étendre ce rôle. Ce faisant, elle accroît son rôle politique, mais sans accompagner de propositions visant à légitimer davantage ce rôle sur le plan démocratique. Nous devrons voir dans la pratique dans quelle mesure cela affectera l’efficacité du cadre fiscal.

La CE ne propose pas non plus d’extension du financement commun de la dette, comme dans NextGenerationEU. Il n’y a pas non plus de propositions pour un budget central plus important (capacité fiscale), une pierre angulaire nécessaire à une union monétaire stable et recommandée par de nombreux rapports sur la réforme du cadre fiscal.

Les idées de la CE, qui doivent encore être traduites en propositions législatives, n’apportent donc en aucun cas le chaînon manquant pour une union monétaire stable et à part entière. Les idées de la CE, qui doivent encore être traduites en propositions législatives, ne constituent donc en aucun cas le chaînon manquant d’une union monétaire stable et à part entière. Ils constituent un pas dans la bonne direction, mais certainement pas la dernière étape.

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