La ligne de crédit du FMI au profit de l'Argentine est une initiative sensée
L'Argentine concentre l'attention des investisseurs et des analystes économiques ces derniers temps en raison de la dépréciation considérable du peso depuis fin avril, des mesures extraordinaires prises par les autorités monétaires et fiscales en réaction et de l'annonce selon laquelle le pays a essayé d'obtenir un Accord de confirmation (Stand-by Arrangement) auprès du FMI. Même si ces mesures revêtent une importance cruciale afin d'arrêter la dégringolade du peso et la baisse de confiance des investisseurs à court terme, les conditions avec le FMI doivent être soigneusement règlementées pour éviter de nouvelles déconvenues au redressement précaire de l'Argentine.
L'Argentine n'est pas insensible aux catastrophes économiques et aux turbulences du marché. L'optimisme a toutefois gagné les investisseurs lorsque le Président Macri a accédé au pouvoir fin 2015. Il a hérité de sérieux déséquilibres macroéconomiques de ses prédécesseurs, Cristina Fernandez de Kirchner (présidente de 2007 à 2015) et de feu son époux Nestor Kirchner (président de 2003 à 2007). Les deux administrations avaient payé d'onéreuses mesures politiques populistes par le biais d'un financement monétaire. Contrairement à ses prédécesseurs, le Président Macri a rapidement engagé des réformes favorables au marché et trouvé un accord avec les créanciers récalcitrants (holdout creditors) de la dette argentine en 2001. L'exclusion de l'Argentine des marchés de capitaux internationaux prenait ainsi fin après 14 années.
Malgré les séquelles des annulations de dettes passées, l'inflation à deux chiffres et les solides déficits budgétaires ainsi que les déficits sur le compte courant (se montant respectivement à 5,9% et 4,8% du PIB en 2017), l'Argentine est parvenue à émettre plus de 44 milliards USD de dette extérieure entre 2016 et 2018, essentiellement grâce à des rendements relativement attrayants. La période récente de volatilité du marché nous rappelle toutefois que la confiance des investisseurs et la reprise économique de l'Argentine restent fragiles. L'intérêt prononcé pour la dette argentine au cours des deux dernières années s'inscrit dans une tendance plus globale où la recherche de « rendement » a entraîné une prise de risques considérable de la part des investisseurs.
Les déséquilibres macroéconomiques subsistent
L'économie argentine sortait d'une récession et enregistrait une croissance positive pour tous les trimestres de 2017. Au total, la croissance du PIB réel en 2017 s'est montée à 2,9% (en glissement annuel). La reprise a été initiée par la croissance des investissements et une forte consommation des particuliers. Cette dernière a été favorisée par un taux de chômage à la baisse et une augmentation des salaires réels.
La forte demande intérieure a toutefois également contribué à une solide croissance des importations en 2017. Le déficit commercial a ainsi entamé son envolée avant de rechuter récemment. La violente sécheresse qui a frappé l'industrie argentine du soja devrait, d'après les prévisions, continuer de peser sur la balance commerciale tandis qu'une détérioration notable des échanges mondiaux consécutive à une possible escalade des conflits commerciaux pourrait entraver la reprise.
En avril, l'inflation est restée élevée, à 25,5% (en glissement annuel), nettement supérieure à l'objectif de 15% de la banque centrale (BCRA) pour 2018. Dans l'intervalle, la dette extérieure a grimpé à 35% du PIB dès lors que le gouvernement s'est concentré sur le financement de son déficit budgétaire sur les marchés de crédit internationaux et a progressivement abordé sa consolidation budgétaire. En outre, la couverture des réserves pour la dette extérieure à court terme s'est peut-être améliorée mais reste encore limitée, surtout par rapport à d'autres marchés émergents (figure 1).
Figure 1 - Ratio dette extérieure / réserves internationales (Par période, T4 2017)
Depuis que la BCRA a revu son objectif d'inflation à la hausse fin 2017 et a abaissé son taux directeur en janvier de cette année, le peso est sous pression (figure 2). Fin avril, une diminution plus forte a commencé, accompagnée d'une baisse plus globale des taux de change des marchés émergents étant donné que la hausse des taux d'intérêt aux États-Unis devrait constituer un frein aux entrées de capitaux sur les marchés émergents. Entre le 27 avril et le 4 mai, la BCRA a relevé son taux directeur de 1275 points de base à 40%, tandis que les autorités budgétaires ont annoncé un déficit budgétaire primaire inférieur de 2,7% du PIB pour 2018. Ensuite, le gouvernement a annoncé avoir cherché à obtenir un Accord de confirmation (Stand-by Arrangement) auprès du FMI. Un tel accord est conclu lorsque le bénéficiaire n'envisage pas de recourir au crédit disponible sans pour autant exclure cette possibilité en cas de besoin (soit une réserve supplémentaire destinée à renforcer les liquidités et la confiance des investisseurs).
Figure 2 - Taux de change et taux directeur de l'Argentine
Vu la relation déjà tendue qu'entretient l'Argentine avec le FMI, solliciter l'accord de confirmation et accepter des conditions quantitatives spécifiques (comme les objectifs en matière de déficit) constitue une décision politique risquée. Idéalement, les conditions reprises dans les négociations en cours seront toutefois en phase avec les réformes actuelles du gouvernement et pourront simplement servir de mécanisme de renforcement. Depuis son arrivée, l'administration de Macri a en fait supprimé les contrôles des capitaux, réformé le bureau des statistiques, défini un cadre de politique monétaire axé sur l'inflation et établi les objectifs nécessaires (quoique progressifs) en matière de consolidation budgétaire. Lors de la dernière consultation au titre de l'Article IV avec l'Argentine, le FMI a loué les autorités pour ces réformes, un sentiment partagé, la semaine dernière, par la directrice du FMI, Christine Lagarde.
Les marchés sont clairement effrayés par la perspective selon laquelle des développements défavorables pourraient entraver l'approche progressive de Macri visant à corriger les déséquilibres argentins. Le financement du déficit budgétaire par des prêts externes ne constitue pas une solution à long terme, surtout dès lors que le taux d'intérêt mondial augmente et que l'Argentine est ainsi considérée relativement moins attrayante par les investisseurs. Alors que l'Argentine se soustrait peu à peu de sa dépendance au financement externe, la confiance des investisseurs reste toutefois cruciale pour maintenir le pays sur le chemin des réformes. Un accord de confirmation du FMI serait de nature à renforcer la confiance des investisseurs et simultanément à ancrer les réformes de Macri. Une consolidation plus abrupte de la situation budgétaire pourrait néanmoins paralyser la reprise économique précaire de l'Argentine, nuire à la popularité du Président Macri et compromettre le soutien à son programme de réformes économiques. En revanche, si l'accord de confirmation est bien réglementé, il peut constituer un pas important vers une renaissance à long terme réussie de l'économie argentine.