Sans coordination politique, l’axe franco-allemand ne sera qu’une vaine chimère

L’élection de Macron à la présidence française il y a un an d’ici ainsi que la réélection de Mme Merkel à la chancellerie allemande ont suscité l’espoir que l’axe franco-allemand redeviendrait le moteur d’une avancée capitale dans l’intégration européenne. Leur récent sommet a mis en lumière leurs bonnes intentions, mais également des différences de vision reflétant leur niveau de compétitivité. Pour créer un terreau propice à leurs ambitions politiques européennes, les deux dirigeants doivent mener dans leur pays une politique qui renforce leurs économies et leur fasse prendre la même direction. Sans une telle coordination politique, l’axe franco-allemand ne sera qu’une vaine chimère.

Lors de leur récente rencontre à Berlin, le président Macron et la chancelière Merkel ont convenu de se rendre au prochain sommet européen avec une proposition commune visant notamment à renforcer la zone euro. Toutefois, il est apparu que les deux dirigeants n’étaient pas encore tout à fait sur la même longueur d’onde. Macron plaide essentiellement en faveur d’un renforcement de la solidarité financière. Selon Merkel, la solidarité ne doit pas nuire à la compétitivité et les États membres doivent demeurer responsables des risques qu’ils prennent. Les deux conceptions ne sont pas diamétralement opposées. Elles reposent sur la conviction partagée qu’un renforcement de la zone euro est nécessaire. Par conséquent, une plus grande "solidarité" est effectivement indispensable ; c’est ce que l’on appelle les "stabilisateurs automatiques" dans le jargon économique. Toutefois, cela ne doit pas empêcher les gouvernements nationaux de prendre des mesures pour préserver la compétitivité de leur économie.

Figure 1 - Coûts salariaux* par unité (* basés sur les heures prestées ; 1999 = 100) France par rapport à l’Allemagne

Source : KBC Economic Research sur la base des chiffres de la BCE

La différence de ton adoptée par les deux dirigeants politiques reflète le niveau de compétitivité de leurs économies respectives. Les coûts salariaux et la productivité du travail constituent des critères importants en plus de nombreux éléments qualitatifs. Si les coûts salariaux augmentent plus vite que la productivité du travail, la compétitivité des coûts diminue. La figure 1 montre l’évolution des coûts salariaux par unité (rapport entre l’évolution des coûts salariaux et l’évolution de la productivité) en France et en Allemagne depuis l’introduction de l’euro. L’écart a commencé à se creuser dès la 2e année. Alors qu’en Allemagne, le coût de la main-d’œuvre par unité est resté relativement stable au début pour ensuite diminuer en 2005-2007, il a connu en France une forte augmentation. Ainsi, à la veille de la grande récession, la France affichait un handicap salarial de plus de 18% par rapport à l’Allemagne. Le facteur décisif a été la profonde réforme du marché du travail en Allemagne avec un assouplissement substantiel et une diminution des coûts salariaux. Résultat : l’Allemagne a augmenté de 10% sa part de marché sur un marché international en pleine mondialisation, contre une perte de 20% côté français. L’Allemagne a converti son déficit de la balance courante qui était de 1,5% du PIB à la fin du siècle dernier en un surplus de presque 7% en 2007. La France affichait quant à elle un léger déficit.

Avec la grande récession, l’avantage de l’Allemagne en matière de coûts salariaux a interrompu sa progression. En raison d’une économie davantage axée sur les marchés étrangers, l’Allemagne a au départ été touchée plus durement que la France. Mais grâce à une économie ciblant dans une plus vaste mesure les marchés extraeuropéens, la croissance de l’économie allemande a été moins affectée que l’économie française par la récession à double creux qu’a connue la zone euro. Cette situation a entraîné une évolution beaucoup plus modérée des coûts salariaux en France. En Allemagne, bien qu’elle reste très modérée, cette évolution est nettement plus élevée qu’en 1999-2007.

Ce faisant, la France a résorbé une partie de son handicap salarial par rapport à l’Allemagne, ce qui a suffi à mettre fin à la perte de ses parts de marché et à stabiliser son déficit extérieur. Toutefois, il n’est pas encore question de revirement fondamental qui laisserait présager une reprise significative de la compétitivité de l’économie française. La croissance économique française accuse ainsi un retard tendanciel par rapport à celle de l’Allemagne depuis le milieu de la dernière décennie. Dans un contexte de chômage historiquement bas, l’Allemagne accumule les excédents budgétaires depuis déjà 2014 et affiche une dette publique en nette diminution. En revanche, le taux de chômage historiquement haut en France peine à diminuer et le déficit budgétaire continue de flirter avec les 3% du PIB, seuil auquel le pacte de stabilité de croissance si cher à l’Allemagne préconise des sanctions européennes.

Figure 2 - Investissements, hors logements (en % du PIB)

Source : KBC Economic Research sur la base des chiffres d’Eurostat

Pour convaincre l’Allemagne, Macron a donc tout intérêt à renforcer la compétitivité de son pays. Pour ce faire, il doit parvenir à maintenir la modération salariale et à mettre en œuvre son programme de réformes économiques. Mais le plaidoyer de Merkel en faveur de la compétitivité gagnerait également en crédibilité si la politique allemande se concentrait davantage sur la modernisation de l’économie. Cela passe nécessairement par la stimulation des investissements. Les excédents allemands du Budget de l’État et de la balance courante reflètent, certes un haut niveau de compétitivité, mais aussi un sous-investissement. Ces dernières décennies, l’Allemagne a pris du retard par rapport à la France dans le domaine des investissements (figure 2). Avec l’émergence du populisme qui affaiblit le gouvernement allemand, il est difficile pour celui-ci d’affecter les excédents à un renforcement structurel de la croissance allemande plutôt qu’à des dépenses de consommation moins productives. C’est non seulement nécessaire pour l’Allemagne, mais aussi pour l’ensemble de la zone euro. En effet, une amélioration de la croissance allemande aurait des répercussions positives sur les autres pays et y faciliterait la mise en œuvre de réformes structurelles.


Dans sa quête d’un axe franco-allemand, Macron plaide à juste titre en faveur d’une vision axée sur l’avenir de la zone euro. Pour ce faire, il peut compter sur une large majorité parlementaire. Merkel, affaiblie politiquement, doit faire preuve de prudence et manœuvrer à petits pas. Elle donnera ainsi l’impression de ramener à plus de mesure un Macron très enthousiaste. Pour créer un terreau propice à leurs ambitions politiques européennes, les deux pays doivent renforcer leurs économies et leur faire prendre la même direction au moyen d’une politique intérieure appropriée. Plus une économie est forte, plus elle est à même de soutenir le concept de "solidarité". Et plus les divergences sont faibles entre les économies, moins il est probable de devoir faire appel à cette "solidarité". Avec une telle vision, le renforcement nécessaire de la zone euro devrait être plus facile à réaliser. Sans une politique économique intérieure coordonnée, l’axe franco-allemand ne sera qu’une vaine chimère.

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