Un coup d'accélérateur pour la politique budgétaire européenne ?
Avec l'assombrissement du climat économique, c'est l'ensemble de la politique monétaire qui se trouve bouleversée. À la tête de la BCE, Mario Draghi et sa remplaçante, Christine Lagarde, en appellent même à la politique budgétaire pour tenter de dynamiser l'économie. La stimulation budgétaire dans la zone euro est une question de besoin, de capacité et de volonté. Faute d'un budget européen digne de ce nom, la relance passera immanquablement par les États membres. À l'image de leurs préférences politiques, les marges de manœuvre des différents gouvernements varient fortement d'un pays à l'autre. L'Italie veut aller vite, mais n'en a guère la possibilité. Une application souple du cadre budgétaire européen lui laissera cependant une marge de manœuvre aussi large que possible. L'accélération de la politique budgétaire européenne et la rapidité avec laquelle l'appel de Draghi et Lagarde sera entendu dépendent néanmoins de la promptitude de l'Allemagne à mettre de côté ses réticences au niveau national et au niveau européen.
La politique monétaire a-t-elle encore un rôle à jouer ?
Le ralentissement conjoncturel met en évidence le rôle de la politique économique dans l'économie. Les dirigeants des banques centrales ont bien vite fait comprendre qu'ils se tenaient prêts à soutenir l'économie. En abaissant ses taux d'intérêt, la Fed a joint le geste à la parole. Au cours de l'été, le président de la BCE, Mario Draghi, n'a cessé de répéter que la BCE se tenait prête à agir elle aussi. Mais son discours semblait plus nuancé. Il n'a en effet pas manqué de souligner le rôle de la politique budgétaire en cas de ralentissement économique plus marqué. Christine Lagarde s'est jointe à l'appel en faveur d'une plus grande coordination des politiques.
La question se pose en effet de savoir si un nouvel assouplissement de la politique monétaire dans la zone euro sera réellement efficace. Contrairement à la Fed, la BCE n'a pas été en mesure de relever les taux d'intérêt ces dernières années. Ceux-ci se situent donc encore à un point bas historique. Une baisse supplémentaire a-t-elle encore du sens ? On compare parfois la politique monétaire à une corde. Elle peut servir à ralentir un chariot qui roule trop vite, mais elle devient inutile pour le pousser lorsqu'il est à l'arrêt. Une banque centrale peut augmenter les taux d'intérêt pour freiner la croissance économique et l'inflation, mais il est moins certain qu'elle parvienne à doper ces derniers par des baisses de taux. L'incidence de la politique monétaire non conventionnelle sur l'inflation demeure elle aussi assez floue. L'inflation est actuellement au point mort dans la zone euro. Il est indéniable que les banquiers centraux ont une grande foi dans la force de la politique monétaire. Toutefois, leur recours à la politique budgétaire peut à juste titre susciter quelques doutes.
La stimulation budgétaire, loin d'être une évidence
Des doutes existent également quant à l'efficacité d'une stimulation budgétaire. Elle est souvent trop tardive, mal calibrée et maintenue trop longtemps. En cas de ralentissement conjoncturel, les finances publiques peuvent certainement soutenir la croissance économique grâce à ce que l'on appelle des 'stabilisateurs automatiques'. L'augmentation des dépenses liées au chômage et la baisse des recettes de l'impôt sur le revenu entraînent alors un déficit budgétaire. En ne compensant pas ce déficit par des hausses d'impôts ou par des économies sur d'autres dépenses publiques, mais en le finançant par de la dette, les pouvoirs publics soutiennent la demande dans l'économie.
Elles peuvent essayer de stimuler davantage la demande en augmentant encore les dépenses ou par des baisses d'impôts. L'efficacité de cette mesure est, elle aussi, loin de faire l'unanimité. Si une baisse d'impôts est une mesure relativement rapide à mettre en œuvre, elle n'a d'impact sur la demande que si le contribuable l'utilise effectivement pour accroître sa consommation ou ses investissements. Pour exercer un contrôle plus direct sur la demande, les gouvernements peuvent également augmenter leurs propres dépenses. Mais la mise sur pied d'un programme de dépenses crédible prend généralement du temps, ce qui signifie qu'il risque de faire effet trop tard.
Le 'parti-pris déficitaire', c'est-à-dire la tendance à tolérer les déficits publics et à ne pas réduire suffisamment l'endettement, même en période de conjoncture économique favorable, discrédite les efforts de stabilisation budgétaire. Une fois la récession terminée, il est souvent politiquement difficile de réduire ces dépenses supplémentaires. La détérioration des finances publiques est alors structurelle. Un gouvernement qui ferait appel à l'épargne risquerait même d'entraver l'investissement privé (effet d'éviction) et de limiter le potentiel de croissance économique. Quand la demande privée devient trop forte, la stabilisation conjoncturelle consiste à freiner la demande.
Une question de besoin, de capacité et de volonté
Pour donner à la politique budgétaire une assise économique plus solide, les règles budgétaires européennes prescrivent que celle-ci soit conforme aux prévisions économiques établies par un organisme indépendant. Fin juin, le Comité budgétaire européen (CBE) a recommandé une politique budgétaire neutre pour l'ensemble de la zone euro d'ici 2020, avec toutefois une différenciation appropriée par pays. Il tablait pour ce faire sur un retour de la croissance économique en 2020. La période des vacances a jeté le doute sur ces prévisions. Le redressement économique attendu pourrait bien ne pas se produire sans un coup de pouce de la politique budgétaire. Cela prouve qu'il est rarement aisé de se prononcer sur l'utilité d'une stimulation budgétaire. Mais est-elle vraiment possible ?
La capacité d'action budgétaire de la zone euro est, de toute façon, limitée. Faute d'un budget digne de ce nom au niveau de l'union monétaire, les impulsions devront nécessairement venir des États membres. La 'différenciation appropriée par pays' prônée dans la recommandation du CBE fait référence aux différences de dette publique entre les pays (Figure 1). Ces différences reflètent l'attitude passée des pays envers le parti-pris déficitaire. Aujourd'hui, elles entraînent de grandes différences de marge de manœuvre budgétaire entre les pays.
Figure 1 - Dette publique (% du PIB)
Ce sont souvent les pays qui disposent d'une marge de manœuvre budgétaire plus étroite, comme l'Italie, qui sont les plus désireux d'assouplir leurs politiques budgétaires. Une politique de relance les mettrait rapidement en conflit avec les règles budgétaires européennes. En appliquant ces règles avec souplesse, la Commission européenne (CE) sortante a évité ces dernières années une confrontation trop directe avec les gouvernements. Il n'aura pas fallu longtemps à la nouvelle présidente de la CE, Ursula von der Leyen, pour indiquer qu'elle maintiendrait elle aussi un maximum de flexibilité. Dans l'intervalle, la politique conciliante de la BCE contribuera à éviter que les marchés financiers ne pénalisent la flexibilité excessive. Un manque de flexibilité n'empêchera donc probablement pas une réponse favorable à l'appel de Draghi et Lagarde.
Néanmoins, une véritable réponse au marasme économique ne peut venir que de mesures de stimulation dans une grande économie disposant d'une marge budgétaire importante. Tous les regards sont donc tournés vers l'Allemagne. Ce pays dispose d'une confortable marge de manœuvre budgétaire, mais possède une forte aversion politique et juridique pour les déficits. Cela va-t-il changer, et à quel horizon ? Le fait que le ralentissement de la croissance dans la zone euro soit dans une large mesure la conséquence d'une récession dans l'industrie manufacturière allemande peut accélérer les choses. Il ne fait guère de doute que l'économie allemande a besoin de plus d'investissements, y compris de la part du gouvernement. Elle souffre d'un déficit structurel de la demande - revers de la médaille d'une balance extérieure largement excédentaire - qui touche désormais aussi la conjoncture économique, en plus des problèmes d'ajustement structurel dans l'industrie. Ce sont là des arguments économiques qui pourraient pousser les responsables politiques allemands à changer de perspective. Il est difficile de prédire à quelle vitesse ce changement pourrait intervenir. Mais il est certain que leur capacité à se projeter dans l'avenir déterminera la réponse qui sera finalement donnée à l'appel de Draghi et Lagarde... et si celle-ci interviendra assez tôt.