Chute du gouvernement français dans 3 … 2 … 1 …
Le gouvernement français est-il sur le point de tomber? C’est hautement probable. Le gouvernement de centre (droit) du Premier ministre Barnier est confronté à une mission presque impossible: remettre en ordre les finances publiques sans majorité, dans un Parlement fragmenté avec des extrêmes si puissants qu’ils disposent de facto d’un droit de veto. Dans sa proposition budgétaire pour 2025, la coalition sous Barnier vise un déficit de 5%, contre > 6% cette année. Tarif: 60 milliards d’euros en économies et augmentations de charges.
Le flanc gauche (Nouveau Front Populaire – NFP) trouve la proposition beaucoup trop antisociale. Il est d’ailleurs peu probable que Barnier puisse jamais compter sur son soutien. Le NFP considère avoir remporté les élections législatives de juillet, mais le Président de la République – dont il est l’opposé polaire sur le plan idéologique – ne lui a pas laissé la chance de former un gouvernement. La coalition de gauche souhaite ainsi provoquer la chute du gouvernement actuel et a déjà déposé à plusieurs reprises des motions de censure, sans succès du fait de l’abstention de l’extrême droite, le Rassemblement National (RN). L’administration Barnier survit donc par la grâce du RN, ce qui place le parti, sous la houlette de Marine Le Pen, dans une position clé (celle de ‘faiseur de roi’). Un levier de pression qu’il veut maintenant exploiter: sous sa forme actuelle, la proposition budgétaire franchit plusieurs lignes rouges du RN. La semaine dernière, le ministre des Finances Armand a répondu à l’une de ses nombreuses demandes. Mais cela n’a pas suffi à Le Pen, qui a servi un ultimatum au gouvernement la semaine dernière: la proposition doit être adaptée, sans quoi…
Sans quoi, c’est fini et peut-être très bientôt. En gros, la proposition de loi se compose de deux blocs: une partie concerne le financement de la sécurité sociale, l’autre traite des moyens de fonctionnement du gouvernement. L’ensemble doit être approuvé au plus tard le 21 décembre. Le Parlement votera le premier bloc cet après-midi. Le RN est contre, et l’a fait savoir ce matin même par l’entremise de son président Bardella. Barnier n’est pas enclin à faire des adaptations qui ratifieront le pouvoir du RN, voire l’amplifieront. Mais sans l’appui du RN, la proposition est condamnée. Dans ce cas, la Constitution permettra à Barnier de passer outre le Parlement, par la voie du fameux article 49.3. Mais ce faisant, il provoquera la colère de la gauche et de la droite et une motion de censure est pour ainsi dire garantie. Si cela arrive, le Rassemblement National mettra-t-il à exécution sa menace du week-end dernier? Nous pensons que oui.
En cas de chute du gouvernement, la Constitution française prévoit quelques filets de sécurité. Une disposition permet par exemple de gagner du temps, en reportant le budget à l’année suivante pendant quelques mois. Une autre option permettrait à Barnier de faire passer le budget malgré tout, en dehors du Parlement. Mais quoi qu’il en soit, son mandat de Premier ministre aura pris fin et la quête de Macron recommencera, avec un contexte inchangé: celui d’un Parlement fragmenté et de finances publiques en désordre. Sauf si Macron démissionnait, de nouvelles élections ne pourront être organisées qu’un an après les précédentes. Cette pagaille politique est l’un des nombreux casse-tête auxquels notre monnaie unique européenne et les actifs français sont confrontés. Aujourd’hui, les actions locales se portent nettement moins bien: les différentiels de taux français avec l’Allemagne ou le marché européen des swaps – un indicateur du risque de crédit – remontent et ont atteint un niveau beaucoup plus élevé que dans le reste de l’UE. À l’ouverture ce matin, le taux français à 10 ans a même brièvement dépassé celui de la Grèce… Le message du marché est clair. Il n’y a plus qu’à attendre que Paris en prenne acte.