Le franc suisse reste fort contre vents et marées
Le franc suisse est plus ou moins resté sous les radars ces derniers temps, et les responsables politiques suisses aimeraient que cela dure. Malgré son statut de valeur refuge, le franc n’a pas pu résister à l'assaut du billet vert lié au « Trump trade ». Entre septembre et le plus haut (provisoire ?) du dollar, la devise helvétique a perdu environ 6 % par rapport à celui-ci la semaine dernière. Elle est en revanche restée solide vis-à-vis de l’euro. En dehors d’un bref rebond de la volatilité début 2015 suite à l'abandon du plancher fixé à EUR/CHF 1,20, le cours a toujours ses plus bas historiques en ligne de mire (zone 0,93/0,92). Cela ne constitue pas un problème en soi si tout se passe de manière progressive et ce, même si les entreprises suisses se plaignent de l’impact très négatif du franc fort. La faiblesse des indices PMI européens la semaine dernière a cependant montré qu'il fallait peu de choses pour renverser le scénario d'une timide tendance haussière.
La banque centrale suisse (BNS) vise la stabilité des prix sous la forme d’une zone cible comprise entre 0 et 2 % pour l’inflation. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, le processus de désinflation semble plus que bien engagé en Suisse. En octobre, l’inflation s'est élevée à -0,1 % en glissement mensuel et 0,6 % en glissement annuel, une baisse plus rapide que celle prise en compte dans les prévisions (déjà révisées à la baisse) de septembre (1 % attendu au quatrième trimestre). L’inflation de base (0,8 %) se situe également clairement dans la fourchette. Les prix des marchandises se sont même repliés de 1,3 % en base annuelle. L’inflation des services a ralenti à 1,9 % et l’évolution favorable des coûts du logement laisse supposer que ce processus pourrait se poursuivre.
Vu la situation de l'inflation en Suisse, il ne fait aucun doute que les taux seront abaissés de 25 pb en décembre et en mars. Le marché n'exclut même pas une réduction de 50 pb en décembre. La question est de savoir s'il sera plus facile pour la BNS de maintenir le franc sous contrôle si le marché a le sentiment que sa marge de manœuvre s'épuise rapidement. Il est toutefois frappant de constater que, contrairement aux autres banques centrales, la SNB répète que les taux négatifs font toujours partie de son arsenal de mesures. Et cela vaut a fortiori aussi pour les interventions sur le marché des changes. La banque pourrait procéder à de telles interventions avant même que le taux n’atteigne 0 %, afin de reporter le plus longtemps possible le retour à ces taux négatifs non conventionnels. Bien entendu, ces interventions ne sont pas non plus sans effets secondaires. Surtout à l’ère Trump, où vous risquez d’être pointé comme un « manipulateur de taux de change ». Sur le plan intérieur, la taille importante du bilan de la SNB pose un problème un peu surprenant. Les nombreuses devises (dépréciées) au bilan pèsent en effet sur les bénéfices et les fonds propres. La BNS pourrait donc ne pas ou pratiquement pas verser de dividendes aux cantons, ce qui risque de donner lieu à des discussions politiques. Des excédents trop importants ne facilitent donc pas nécessairement la vie d’une banque centrale.
Encore quelques mots sur le franc. La monnaie suisse joue son rôle de valeur refuge, surtout en cas de mauvaises nouvelles concernant l’Europe. Si le marché revient un peu sur ses attentes agressives par rapport aux taux de la BCE, cela pourrait temporairement ralentir le franc. D'un autre côté, le chaos politique en France et l'accroissement des primes de risque au sein de l'UEM le replaceront presque automatiquement au centre de toutes les attentions. Les nombreux problèmes structurels rencontrés par les pays voisins de l’UEM devraient permettre à la devise hevétique de rester forte vis-à-vis de l’euro, avec ou sans interventions. La zone de 0,93/0,92 doit probablement davantage être considérée comme une parenthèse que comme le point de départ d’un véritable renversement de tendance.