Fin d’une ère pour le billet vert ?

De novembre 2022 à novembre 2024, la paire EUR/USD est restée "bloquée" entre 1,0450 et 1,1275. Puis Trump est arrivé. Au début, une majorité du marché était séduite par la rhétorique MAGA. Pendant un moment, on a pensé que le cours EUR/USD allait plonger. Les États-Unis avaient tous les atouts en main : économiques et géopolitiques. L’Europe apparaissait, quant à elle, comme un géant aux pieds d’argile que Trump allait pouvoir faire tomber sur pratiquement tous les terrains. Les excédents (externes) semblaient constituer un inconvénient, plutôt qu'un avantage.
Retour à notre époque des droits de douane réciproques. En deux mois, la paire EUR/USD est totalement sortie de la fourchette susmentionnée. De 1,0140 début février, le cours se trouve aujourd'hui à 1,14 !. En soi, l’administration Trump est probablement favorable à un dollar plus faible. Toujours cette histoire de déficit commercial. Toutefois, le scénario de marché actuel n’était probablement pas dans ses plans (si de tels plans existent, bien entendu). Le rebond du cours EUR/USD a commencé en mars, sur fond de sentiment de relance en Europe. Prenant conscience de leur trop grande dépendance vis-à-vis des États-Unis, l’Europe et l’Allemagne ont décidé de tourner la page de l’orthodoxie fiscale et de commencer à investir dans leur "indépendance" (militaire). Les taux européens, les bourses et l’euro sont alors repartis à la hausse. À la mi-mars, le cours EUR/USD se trouvait à 1,095. Le marché a été convaincu par le potentiel (de croissance) de ces dépenses déficitaires européennes. Et, en tous les cas, beaucoup plus que par la politique (tarifaire) économique américaine et le choix dogmatique de réductions d’impôts non financées.
Depuis le "Liberation Day", le cours EUR/USD a encore fortement grimpé, de 1,085 à 1,14. Une fameuse motion de méfiance vis-à-vis du dollar. Mercredi, Trump a joué son joker/"Trump put", afin d'endiguer cette vague de ventes des actifs US. Pas tant pour freiner le recul des Bourses ou la dépréciation du dollar, mais plutôt parce que l’ancre de "l'exceptionalisme américain" est en train de se détacher. Les investisseurs perdent confiance dans les obligations d’État américaines à long terme (et donc dans le dollar). Hier, il a été frappant de constater que la nouvelle pression exercée sur les longues échéances US s’est accompagnée d’une progression des Bunds allemands. Le chemin est encore long, mais le marché est en train de chercher un nouveau refuge dans l’univers obligataire, loin des États-Unis.
Quand cela va-t-il se terminer ? Pas encore aujourd'hui. Même la volte-face (complète) opérée sur les droits de douane n'a pas suffi à restaurer la confiance. Il faut aussi compter avec le niveau extrêmement élevé de la dette américaine. Quelle est la probabilité que Trump rectifie le tir budgétaire et revienne sur ses réductions d'impôts irréalistes ? En résumé, la crédibilité des titres de créance et du dollar sont deux faces de la même médaille. Tant que le calme ne revient pas pour les premiers, le second restera sous pression.
La Fed n’est pas un deus-ex-machina. Cette fois, il ne suffira pas d’injecter des liquidités en dollars sur le marché. Acheter des obligations et confirmer ainsi que le marché a totalement perdu confiance ? De l’autre côté de la comparaison avec le billet vert, l’aide n’est pas non plus si évidente. En cas de baisse trop rapide du cours USD/JPY, la BoJ a déjà voulu intervenir pour empêcher une trop forte appréciation du yen. Mais ce n'est aujourd'hui pas à l'ordre du jour. Le Japon (ni aucun autre pays) ne sera évidemment en mesure de résoudre ce problème. Et ce n'est pas tout. En tant que banque centrale, que faire avec ce dollar américain ? Investir dans des bons du Trésor US "sûrs" ? Nous sommes conscients qu'il s'agit de raccourcis simplistes. Le fait est cependant que le dollar risque vraiment de plonger et qu’il existe peu de mécanismes conventionnels pour empêcher cela. Le graphique technique indique qu’il subsiste encore un petit seuil de résistance près de 1,17 avant que le cours EUR/USD ne reprenne la direction du sommet de début 2021 (1,2344).
Le cours EUR/USD rompt ses niveaux de résistance avec une facilité déconcertante.
