L'heure de colmater les fuites sur la bourse bruxelloise ?

Le trimestre dernier, les comptes de résultats n'ont guère fourni de fil conducteur pour la saison des publications en Belgique. Les bilans l’ont en revanche fait. Ces derniers ont continué de gonfler via une stricte maîtrise des coûts et des importants gains d’efficacité. Cela n’a rien de problématique, mais cela crée un risque substantiel.
Cash is king... and a drag
Les entreprises belges cotées en bourse réunissent de plus en plus de liquidités (excédentaires) grâce à des rendements de trésorerie nettement plus élevés. La liquidité est roi ("cash is king"), mais un trop-plein a aussi une incidence négative sur la valorisation ("valuation drag"). Parallèlement, les firmes tech américaines, si attirantes, ont entraîné un asséchement de la liquidité sur la place bruxelloise, renforçant ainsi la pression à la vente sur les petites et moyennes entreprises belges déjà peu liquides, avec des cours planchers et des valorisations historiquement basses pour résultat. Sur le plan opérationnel, il n'y a toutefois pas vraiment de problèmes : la génération de flux de trésorerie disponibles a augmenté dans les entreprises suivies par KBCS (hors financières, biotech et immobilier), de 3,5 % à 4,9 % du chiffre d’affaires en 2024. En 2025 et 2027, à politique d’investissement inchangée, ce chiffre pourrait grimper à 5,4 % et 8,1 %. Cela a entraîné un effondrement du ratio d’endettement médian (endettement net par rapport au REBITDA) de 1,35x en 2022 à 1,05x en 2024, avec un possible nouveau recul à à peine 0,38x en 2027. De véritables vaches à lait.
Il n'y avait aucun doute (et c'est toujours le cas) que ce cocktail toxique attirerait des acquéreurs externes (Private Equity et industriels) et internes (propriétaires familiaux). Et c’est d'ailleurs ce qui sest passé… En février, Coucke & Co ont lancé une offre d’acquisition en vue de retirer Smartphoto de la bourse. Avec la prime de 46 % offerte, le prix proposé correspond au cours de juillet 2024. La semaine dernière, la famille De Nolf a lancé une offre sur toutes les actions de Roularta, avec l'aval de West Investment Holding (3,75 %). La prime de 24,5 % offerte amène le prix proposé (15,5 euros par action) au niveau du cours d’août 2023. L’année dernière déjà, Exmar avait voulu se retirer de la cote, mais l'entreprise a récemment dû réexaminer la situation. À l'étranger, le holding technologique Prosus a débarrassé Just Eat Takeaway de ses problèmes boursiers, avec une offre de prix comparable au cours d’août 2023. Mais d'autres reprises plus discrètes suivent aussi leur cours. Ainsi, Tessenderlo Chemie ne cesse de prendre ses distances avec la bourse depuis des années, le holding conservateur Ackermans & van Haaren a de nouveau un peu augmenté sa participation dans Sipef et BNP Paribas contrôle entre-temps 15,07 % d’Ageas.
Écart de valorisation, liquidité, plus-values
Selon le journal De Tijd,167 entreprises étaient cotées sur Euronext Bruxelles en 2008. Ce chiffre est tombé à 122 fin 2022. Faute de sang frais pour compenser ces départs et suite à quelques faillites dans le secteur en plein essor des biopharmaceutiques et à plusieurs retraits de cote, ce chiffre évolue à peine au-dessus de 100 aujourd'hui. Cela s'explique surtout par l'assèchement des liquidités, l'effondrement des valorisations et le cadre réglementaire qui a fait passer les entreprises du statut de créateurs de valeur à celui de vaches à lait, pour tous les investisseurs. Ajoutez à cela les frais élevés à engager pour une cotation et des obligations de transparence très strictes. Sans parler de la décision du gouvernement d’introduire une taxe sur la valeur ajoutée. Si les tenants et aboutissants peuvent être discutés, une telle situation risque, à tout le moins, de convaincre encore davantage les firmes qui pensent déjà à plier bagages.
Entrepreneurs, investissez !
Euronext Bruxelles est-elle condamnée ? Non, certainement pas. Ainsi, Energy Vision a fait part de son projet d'entrer en bourse. Mais la véritable ligne de défense de l’écosystème d’Euronext Bruxelles résidera dans la mise au travail des liquidités qui s'accumulent sur les bilans des entreprises. Il y a actuellement un manque d'investissements, même si cela est évidemment facile à dire dans un contexte plutôt défavorable en termes de géopolitique, de droits de douane et d'innovation technologique. Mais la meilleure défense est et reste l’attaque. Les entreprises ont donc en partie les outils en main pour "colmater les fuites" de Bruxelles. Cela, et une variante de la loi Cooreman-Declercq, qui devra stimuler la participation économique et la création de plus-value. Il y a donc beaucoup de pain sur la planche et il est grand temps de s'y mettre.
Tom Simonts, Senior Financial Economist KBC Groupe