‘Whatever it takes’ fiscal: le fait accompli

"Si l’Allemagne renonce au schwarze Null, il n’y aura plus aucune barrière en Europe. Les Italiens diront: si les Allemands peuvent s’endetter, alors nous aussi.’ (Manfred Weber, figure de proue de la CSU en Allemagne et président du groupe PPE au Parlement européen, décembre 2019)
L’Europe a besoin de crises pour s’attaquer à des sujets tabous. Ces dernières années, nous avons eu assez d’exemples de solutions politiquement impossibles, qui se heurtent à une résistance insurmontable… jusqu’à ce que l’eau nous arrive aux lèvres: la faillite de la Grèce et les pertes pour les détenteurs d’obligations, les taux négatifs de la Banque centrale européenne et ses achats obligataires. Le financement monétaire de la dette? JAMAIS! Et pourtant: pensez à l’émission de dette européenne pendant et après la pandémie de Covid, ou la fin alternative à ‘La Cigale et la Fourmi’.
À présent, l’attitude américaine par rapport à l’invasion de l’Ukraine par la Russie a déclenché une telle crise, poussant l’Europe à relever en toute hâte ses dépenses militaires. Hier, nous évoquions la proposition de von der Leyen (ReArm Europe) à l’approche du Conseil européen des chefs de gouvernement qui se tiendra demain. Ensuite, après la clôture européenne, l’Allemagne a implicitement donné son feu vert pour un stimulus fiscal. Elle renonce à son obsession du schwarze Null (budgétaire) et signe notamment un chèque en blanc pour les dépenses en matière de défense. En outre, un paquet de 500 milliards d’euros est prêt pour financer des travaux d’infrastructure et les règles en matière de dépenses au niveau des Länder allemands seront assouplies. Le futur chancelier fédéral Merz utilise l’ancienne composition du parlement allemand pour procéder à des modifications constitutionnelles avant la première audience du nouveau parlement (fin mars), avec l’aide du SPD et des Verts (une majorité des deux tiers est nécessaire). Pour souligner encore sa détermination, Merz a paraphrasé l’ancien président de la BCE Draghi: l’Allemagne fera ‘whatever it takes’ pour préserver la liberté et la paix en Europe.
Depuis longtemps, une politique budgétaire européenne expansionniste est notre atout, le deus ex machina pour soutenir la croissance et permettre à l’Europe de revenir dans la course en contractant dette sur dette, faisant fi des règles budgétaires théoriques. Et la réaction du marché? Elle est éloquente aujourd’hui: les taux allemands, et européens par extension, augmentent jusqu’à 20 points de base sur l’extrémité longue de la courbe. Le taux allemand à 10 ans teste le sommet de 2024 à 2,71%, tandis que pour la première fois depuis fin 2023, le taux allemand à 30 ans dépasse les 3%. Nous assistons à des mouvements de marché importants, sans toutefois qu’il s’agisse d’un repositionnement ponctuel. Nous nous attendons au début d’une nouvelle dynamique haussière vers les sommets de 2023. L’extrémité courte de la courbe gagne elle aussi plus de 10 points de base. En principe, les mesures de relance fiscale, propices à la croissance et à l’inflation, inciteront la BCE à faire preuve de prudence quant à d’autres abaissements de taux après jeudi. Aujourd’hui, les bourses européennes progressent de 2 à 3%. L’euro est enfin libéré d’un de ses nombreux démons et exploite dans la foulée la fatigue de l’USD (risque accru d’une récession aux États-Unis). Le cours EUR/USD (1,07) rompt un premier niveau de résistance à 1,0533/51 et se dirige droit vers 1,0804 (retracement de 62% sur la baisse de sept24-fév25).
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC
‘Whatever it takes’ fiscal: le taux allemand à 10 ans (graphique hebdomadaire) touche au sommet de 2024
