Du conte de fée à la stagflation

Après la hausse des taux d’inflation aux États-Unis, nous avions mis en garde, il y a deux semaines, contre différents risques asymétriques aux États-Unis et en Europe sur la base de l’évolution du cours EUR/USD. Aux États-Unis, la barre était haute pour continuer à tabler sur une croissance plus soutenue et des taux d’inflation plus élevés. Les investisseurs ont vécu sur un petit nuage électoral et les marchés monétaires ont revu leurs anticipations de baisses de taux en misant sur une longue pause de la Fed. Ce positionnement débouche surtout sur une exposition à des mouvements de marché (plus) importants en cas de croissance décevante ou de taux d’inflation plus bas. En Europe, c’est l’inverse. Le chant des sirènes d’une politique accommodante de la BCE reflère le pessimisme extrême autour de la croissance. Dans ce contexte, ce sont les signes pointant dans l'autre direction qui risquent de faire bouger le plus le marché. Nous pensons, par exemple, à la prise de conscience soudaine de la nécessité d'une accélération des dépenses en matière de de défense ou aux discours divergents évoquant la possibilité d'une pause au sein même de la BCE ( Schnabel et Wunsch).
Les mouvements observés aux États-Unis depuis vendredi ne font qu'abonder dans le même sens. L'indicateur PMI de confiance des entreprises outre-Atlantique est, contre toute attente, tombé à son niveau le plus bas depuis mars 2023. Pour la première fois en deux ans, la mesure relative aux services s'est repliée en zone de contraction (au-dessous de 50). L’espoir suscité par les élections (prolongation des réductions d’impôts, avantage concurrentiel créé par les droits de douane) a fait place à l’incertitude. Chaque coup de stylo présidentiel est un coup porté au moral de monsieur et madame tout le monde. La guerre éclair menée par le département DOGE pour accroître l’efficacité gouvernementale suscite surtout de la peur. Et la peur a un effet paralysant. Tant pour le consommateur que pour les entreprises (report des investissements, arrêts des recrutements…). En outre, concernant les droits de douane, c'est surtout le revers de la médaille qui est observé pour le moment. Par anticipation, la vie est déjà devenue beaucoup plus chère et les partenaires commerciaux des États-Unis sont cette fois-ci mieux armés/préparés que lors du précédent mandat de Trump. Le retour de boomerang pourrait être rapide. En l’espace de quelques mois, les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête PMI sont, pour l'année prochaine, passées d'un bel optimisme à une humeur qui n'avait plus été aussi sombre depuis la fin de la pandémie.
Du point de vue du marché, la balance des risques passe des risques de hausse de l'inflation - ceux-ci sont bel et bien présents, comme en témoigne la forte hausse des anticipations inflationnistes dans les enquêtes menées auprès des consommateurs – aux risques de baisse de la croissance. Du scénario de conte de fée (« golddilocks ») à la stagflation. Les principaux indices boursiers américains plongent, passant de la limite supérieure à la limite inférieure des bandes latérales proches des cours records qui déterminent la situation technique des échanges depuis décembre. Les taux américains corrigent en dessous de leurs plus bas de ce début d'année. Sur le marché des changes, le dollar connaît toujours un coup de mou. Hier, le cours EUR/USD a testé le sommet de 2025 à 1,0533, mais aucune rupture à la hausse n'a encore eu lieu. Un peu plus loin se trouve le niveau de reprise de 38 % par rapport à la baisse de la paire EUR/USD observée entre septembre et février (1,0551). Nous avons précédemment laissé entendre que cette accélération deviendrait difficile sans la collaboration de l’euro, mais cette hypothèse pourrait être révisée. Combien de contretemps (par rapport à la croissance) le dollar pourra-t-il encore supporter si la dynamique à court terme continue de tendre vers la stagflation ? L'indicateur de confiance des consommateurs américains de cet après-midi pourrait déjà nous donner un élément de réponse.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC
Le taux à 10 ans américain passe sous son plus bas de l'année, alors que les craintes autour de la croissance prennent le dessus.
