Après nous, le déluge
Son destin de sauveur de la patrie était écrit dans les étoiles… Les Bleus aspirent à un troisième titre européen depuis l’an 2000. Libérés du joug du PSG, nos voisins du sud comptent maintenant surtout sur Kylian Mbappé pour rapporter le trophée Henri Delauney à Paris. Mais ce n’est pas seulement sa responsabilité sportive qui pèse sur les épaules du jeune homme: hier soir, lors de sa conférence de presse avant le match d’ouverture des Français, l’attaquant a pris la décision inhabituelle de détourner l’attention du football vers le chaos politique. Il a appelé la jeunesse à canaliser son esprit d’unité sportive en se rendant aux urnes le 30 juin pour empêcher les extrêmes de prendre le pouvoir.
Le président français Macron n’y est pas allé de main morte. Sa décision de convoquer des élections anticipées risque d’aboutir à un résultat plus désastreux que les élections européennes qui en ont été le déclencheur. Vendredi dernier, cela a été la panique après que les partis de (l’extrême) gauche ont annoncé une union en vue des législatives. Dans le système à deux tours, il y a de fortes chances que les candidats du centre se retrouvent exclus le 7 juillet. Les premiers sondages affichent un soutien d’environ 35% pour le Rassemblement National de Le Pen, 26% pour le Nouveau Front populaire de la gauche et 19% pour le parti Renaissance de Macron. Le ministre français des Finances Le Maire a immédiatement dramatisé en avertissant qu’une victoire du front de gauche autour de Jean-Luc Mélenchon serait le prélude à une sortie de la France de l’UEM. Le programme électoral consiste en une attaque des finances publiques, qui irait directement à l’encontre des règles budgétaires européennes contre lesquelles Mélenchon et ses alliés se révoltent ouvertement. La plupart des réformes économiques menées par Macron seraient prises pour cible. Du point de vue du marché, le raisonnement pervers veut qu’une victoire pour Le Pen pourrait permettre un retour au calme… Le Pen a déjà tendu la main à Macron et souligne qu’elle veut se concentrer sur le maintien de l’ordre (la sécurité) et des finances publiques.
Après une semaine de chaos politique, le prix à payer est élevé. La bourse française (le CAC 40) a perdu plus de 6%. La prime de risque de crédit française a augmenté de 16 points de base par rapport au taux swap et dépasse 40 pb pour la première fois depuis 2012. Les spreads se sont aussi accentués dans une moindre mesure pour les autres pays européens: Italie (+10 pb), Espagne (+7 pb) ou Belgique (+2 pb). L’écart par rapport au taux allemand à 10 ans a grimpé de plus de 30 points de base, les obligations d’État allemandes ayant surtout joué leur rôle de valeur refuge le vendredi. Sur le marché des changes, le franc suisse a pris la tête (EUR/CHF 0,95), tandis que des devises moins liquides comme le forint hongrois se sont retrouvées sous pression (EUR/HUF 399). Pour la première fois depuis début mai, le cours EUR/USD cote en deçà de 1,07. Après le premier ‘reset’ la semaine dernière, les mouvements du marché pourraient être un peu moins brutaux, mais les actifs français ou l’euro ont peu de chances de se redresser avant le scrutin. Il y a trop d’écueils en vue: nouveaux sondages, avertissements éventuels des agences de notation de crédit, déclarations politiques… voire, surprises lors de l’Euro, dernier refuge de l’unité nationale. Mieux vaut que Mbappé se concentre sur sa tâche…
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC