Premier abaissement de la BCE. Et après ?
Les marchés s'y attendaient depuis des semaines. La BCE allait rendre sa politique un peu moins restrictive lors de sa réunion de juin. L’inflation n’est certes pas encore retombée à 2,0 %, mais elle a suffisamment baissé pour lever un peu le pied du frein monétaire. Le taux de facilité de dépôt se trouve donc aujourd'hui à 3,75 %. Mais la déclaration de politique et la conférence de presse de la présidente, Christine Lagarde, nous laissent tout de même avec un sentiment mitigé. Était-ce vraiment le bon moment de changer de cap ?
Dans son communiqué de politique, la BCE avance trois arguments pour justifier sa décision. La nouvelle évaluation des perspectives d’inflation, la dynamique de l’inflation sous-jacente et la force de transmission de la politique monétaire (stricte) permettent de rendre la politique moins restrictive. Lors d'un tel revirement, on peut normalement s'attendre à ce que la banque donne aussi quelques indications concernant le timing et le rythme de ses prochaines interventions. Or, elle reste relativement muette à ce sujet. Le message principal délivré par la BCE est qu'elle maintiendra sa politique à un niveau suffisamment restrictif en vue d'atteindre rapidement l'objectif d'inflation de 2 %. La dépendance aux données reste le mot d’ordre et on sent par ailleurs que la BCE n'est elle-même pas totalement convaincue par ses propres arguments.
Dans leur rapport trimestriel, les économistes de la BCE ont ainsi relevé leurs prévisions tant pour l’inflation générale que pour l’inflation sous-jacente pour cette année et l’année prochaine (inflation générale : de 2,3 % à 2,5 % pour 2024 et de 2,0 % à 2,2 % pour 2025 ; inflation sous-jacente : de 2,6 % à 2,8 % pour 2024 et de 2,1 % à 2,2 % pour 2025). Pour 2026, ils ont en revanche laissé leurs prévisions inchangées (1,9 % pour l'inflation générale et 2,0 % pour l'inflation sous-jacente). Il faudra donc attendre encore longtemps en 2025 pour que l'objectif de 2 % soit atteint. En outre, la BCE prend également acte des hausses salariales toujours élevées et de l’inflation (des services) intérieure. Bref, dans un autre contexte, ces arguments pourraient tout aussi bien être utilisés pour justifier un relèvement de taux. Nous faisons ici une petite parenthèse. L'Autrichien Robert Holzmann est le seul membre du conseil des gouverneurs à avoir voté contre la baisse. En quelques mots, ce dernier a justifié sa décision en pointant aussi cette même dépendance aux données sur laquelle la BCE entend se baser pour décider de la suite de ses actions. Lagarde a d’ailleurs également admis que la BCE n’était pas encore arrivée dans une phase où elle allait pouvoir enclencher le pilotage automatique pour ses prochaines baisses. Pour cela, il faudra que la situation évolue encore.
Le marché a tiré ses conclusions. Une nouvelle baisse en juillet est quasiment exclue. Même le scénario de deux réductions supplémentaires en septembre et décembre (lorsque la BCE disposera de nouvelles projections) est loin d’être acquis. Le marché évalue pour le moment la probabilité de deux nouvelles baisses d’ici décembre à +/- 50 %. La correction des taux observée ces derniers jours a donc pris fin hier. Du seul point de vue de l’UEM, il n'y a actuellement pas vraiment de raisons pour que les taux continuent dans ce sens. Mais le marché des taux européen n’est évidemment pas une île et ce qui se passe aux États-Unis joue certainement aussi un rôle, en particulier sur la partie longue de la courbe.
Les payrolls américains qui seront publiés cet après-midi seront scrutés de près. Et la semaine prochaine s'annonce également très intéressante. Mercredi, nous connaîtrons les chiffres de l'inflation du mois de mai aux États-Unis et, le même jour, la Fed prendra sa décision de politique, sur la base de nouvelles prévisions (« dots »). Le marché du travail a récemment montré des signes d'essoufflement. Cependant, la question est de savoir si les payrolls seront faibles au point de pousser la Fed à envisager un abaissement « rapide » des taux.
La marge de manœuvre limitée pour un nouvel assouplissement de la BCE maintient provisoirement la paire EUR/USD proche de la zone de résistance de 1,0900/16. En cas de payrolls faibles cet après-midi, une rupture est possible, mais même dans ce cas, nous nous attendons à ce que le marché réagisse avec le frein à main en attendant la réunion de la Fed la semaine prochaine.