Calme plat sur le marché des obligations de l'UEM ?
Ce n’est pas vraiment une surprise, mais vendredi dernier, l'agence de notation S&P a abaissé la note de la France, de AA à AA-. Une nouvelle étape dans une tendance, certes très lente, mais tout aussi claire. En 2011, la France bénéficiait encore d'un rating AAA.
Cette dégradation est le reflet des défis fiscaux auxquels doivent faire face de nombreux pays européens. Afin d’atténuer l'impact de la contraction de la demande pendant la pandémie et de la flambée des prix de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine, les autorités budgétaires n'ont pas hésité à augmenter « provisoirement » leurs dépenses. Mais elles semblent aujourd'hui avoir du mal à inverser la tendance. Les déficits et le taux d’endettement dépassent par conséquent toujours les niveaux qui avaient été estimés lors de l’établissement du budget en 2023. L’année dernière, la France a ainsi affiché un déficit budgétaire de 5,5 % du PIB, au lieu des 4,9 % inscrits dans le budget. Pour 2024, le gouvernement s’était engagé à ramener le déficit à 4,4 %. Mais avant que l'année ait véritablement débuté, il avait déjà revu cette ambition à 5,1 %. De plus, des mesures supplémentaires seront aussi nécessaires. S&P s’attend à ce que la France ne soit toujours pas parvenue à ramener son déficit à 3 % en 2027 (3,5 %). L’endettement continuera pour sa part à grimper, de 109,1 % en 2023 à 112,1 % en 2027. Autre élément inquiétant : les récentes mesures visant à stimuler la croissance et l’emploi sont positives, mais les effets de retour sous la forme de revenus plus élevés demeurent en deçà des attentes. Entre-temps, les charges d’intérêts passeront de 3 % des revenus à 5 % en 2027. Et ce, dans un contexte de hausse structurelle des dépenses, notamment en raison du vieillissement de la population. Ce n'est donc pas demain que le taux d'endettement de la France repassera sous la barre des 100 % du PIB.
La décision de S&P a laissé le marché de marbre. La prime de crédit de la France par rapport à l’Allemagne (10 ans) tourne toujours autour de 0,5 %. Il n'y a donc rien à signaler ? Il y a pourtant un « mais », et celui-ci ne concerne pas uniquement la France. Les obligations allemandes ont aussi particulièrement sous-performé au cours de l’année écoulée. La prime négative par rapport au taux swap a fortement diminué. En d’autres termes, le papier de première qualité allemand perd de son attrait. Si l’on compare les primes de risque de crédit de pays comme la France, mais aussi la Belgique, aux taux swap, on voit que celles-ci ne cessent d'augmenter depuis fin 2022.
Il est par ailleurs frappant de constater que les obligations des pays du sud avec un profil de crédit moins solide se portent relativement mieux. Après la pandémie, les notes de crédit de pays comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne se sont améliorées ou, tout du moins, ne se sont pas détériorées (Italie). Cela est notamment dû à une forte croissance nominale, à la combinaison d’une inflation élevée et d’une forte reprise de la demande, notamment grâce au rebond du tourisme. Les investissements dans le cadre des programmes de soutien européens ont également aidé. Reste à savoir dans quelle mesure cette hausse de la croissance sera durable et si, à terme, elle suffira pour faire face aux charges d’intérêts plus élevées et aux autres défis structurels. En outre, le principal acheteur d’obligations de ces dernières années, la BCE, est en train de se retirer. Les obligations du portefeuille APP qui arrivent à échéance ne sont plus réinvesties. Et dès le mois prochain, la BCE réduira également son portefeuille de crise PEPP. Le risque reste que l’équilibre entre l'offre et la demande se retrouve lentement sous pression des deux côtés de l’équation. Cela plaide en faveur de taux à long terme plus élevés. En cas de regain d'incertitude au niveau mondial, on pourrait alors constater que que le calme actuel sur le marché des obligations de l'UEM est peut-être moins tenable que ne le laissent à présent penser les spreads (par rapport à l’Allemagne).