Blinded by the lights
« Je ne vois ni le « stag » ni le « flation' ». Peut-être Jerome Powell, le président de la Fed, est-il lui-même le « stag », terme qui, en anglais, signifier « cerf"». Un cerf qui, dans l’obscurité, est à la recherche de preuves supplémentaires pour justifier une politique monétaire moins restrictive et qui est subitement ébloui par les phares aveuglants de l’accélération de l’inflation. Le cerf se fige. )
Hier, la banque centrale américaine (Fed) a décidé de maintenir son taux directeur dans une fourchette comprise entre 1 % et 1,25 %. Dans le communiqué de politique, l’accent est toujours mis sur un premier abaissement des taux. Durant la séance de questions-réponses, Powell a répété que cette baisse pourrait être provoquée par un recul de l’inflation vers l’objectif de 2 % et un affaiblissement du marché du travail. La barre pour une telle intervention est cependant placée plus haut. Dans le paragraphe d’introduction de sa nouvelle déclaration de politique, la Fed admet qu’aucun progrès n'a été réalisé ces derniers mois en vue de l'objectif d’inflation. Ces dernières semaines, le marché s’est clairement positionné en prévision d'un scénario de taux « plus élévés pendant encore plus longtemps », mais Powell a mis les points sur les « i ». La porte pour un nouveau relèvement des taux est et reste fermée.
La Fed a décidé de ralentir le rythme de la réduction de son bilan (aussi appelée « resserrement quantitatif » ou RQ), le deuxième pilier du processus de normalisation. En théorie, du moins. Dans la pratique, les montants mensuels sont souvent inférieurs aux limites fixées. La Fed a abaissé son plafond mensuel de 95 milliards à 60 milliards de dollars : 35 milliards de titres adossés à des crédits hypothécaires (MBS ; montant identique) et 25 milliards d’obligations d’État (contre 60 milliards auparavant). La banque centrale a expliqué les contours de la décision d’hier largement à l’avance. Début 2019, le processus de RQ tournait à plein régime et était en pilotage automatique, jusqu’à ce que le moteur du marché (la liquidité) cale subitement. La Fed ne veut pas commettre la même erreur une deuxième fois. Le ralentissement de la réduction progressive de la taille du bilan ne signifie pas que la banque veut mettre rapidement fin à son resserrement. À titre de comparaison, la Fed détient encore pour environ 6 800 milliards de dollars d’actifs dans ses portefeuilles d'assouplissement quantitatif. Ce montant a culminé à environ 8 500 milliards de dollars à la mi-2022 et est à mettre en parallèle avec celui de 3 500 milliards atteint fin 2019. L’objectif est de conserver un large stock d’obligations d’État (actuellement 3 875 milliards de dollars) au bilan, alors que le portefeuille de MBS (2 375 milliards) pourrait disparaître à terme.
(Les pupilles du cerf s’adaptent lentement à l’intensité lumineuse des phares. Pas le choix, il faut bouger. Prendre des mesures pour éviter une catastrophe. Le cerf détale. )
La réunion d'hier était-elle un tremplin avant un virage plus important en juin ? La Fed disposera alors de nouvelles prévisions de croissance et d’inflation et les gouverneurs de la Fed donneront leurs nouvelles projections concernant la trajectoire du taux directeur et le taux neutre. Les discours de membres individuels de la Fed suggèrent que la balance pourrait bouger. Plutôt que de se concentrer sur le moment où les taux pourront être abaissés pour la première fois, l'accent sera plutôt mis sur la durée pendant laquelle le niveau actuel devra encore être maintenu. Le marché mise désormais sur le mois de décembre. Les « payrolls » et l'indicateur ISM des services (demain) ainsi que, surtout, les chiffres de l'inflation (le 15 mai) seront les prochains moments charnières. Au vu de sa réaction hier (très léger recul des taux et affaiblissement temporaire du dollar), le marché se prépare toujours à un nouveau pivot.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC