Remise en question pour la Banque d’Angleterre

L’ancien économiste en chef de la Banque d’Angleterre, Gertjan Vlieghe, avait déjà mis le doigt sur la plaie durant l’été 2019. La banque centrale britannique informe officieusement le monde extérieur de ses intentions en matière de politique, mais publie des prévisions officielles pour indiquer ce qui se passerait si elle faisait autre chose. Vlieghe faisait ainsi référence aux prévisions trimestrielles qui sont établies sur la base des attentes du marché autour de la trajectoire future du taux directeur et non sur les attentes de la banque centrale elle-même. La cacophonie qui en résulte et qui sème la confusion entre les marchés, les acteurs économiques et la banque centrale est encore exacerbée en période d’incertitude et de volatilité. Les prévisions de novembre 2022 en sont le meilleur exemple. À l'époque, le gouvernement britannique avait provoqué un krach obligataire en annonçant d'ambitieux plans de relance financés par la dette, à un moment où la Banque d’Angleterre était encore en pleine lutte contre l’inflation et où les déficits budgétaires étaient en train de déraper sérieusement. Cela avait poussé le marché à parier sur de nombreux et rapides relèvements de taux. Sur la base de cette trajectoire implicite des taux, les ordinateurs de la vieille dame de Threadneedle Street s'étaient alors mis à annoncer une lourde récession. Panique chez les consommateurs et dans les entreprises. Panique sur les marchés. Et ce, alors qu'il n'était pas du tout dans l'intention de la BoE de se montrer aussi alarmiste. Juste une question de méthode...
La problématique décrite est l’une des douze et des principales conclusions tirées par l’ancien président de la Fed, Ben Bernanke, dans une évaluation indépendante de la politique de la BoE. La banque centrale britannique a déjà répondu qu’elle étudiera ces recommandations et qu'elle les appliquera progressivement sous une forme ou une autre avant la fin de l’année. Pour résoudre cette confusion au niveau des prévisions, Bernanke cite comme exemple les banques centrales scandinaves qui utilisent, publient et mettent en œuvre leurs propres projections de croissance et d’inflation. Des adaptations aux modèles économiques pourraient aussi être envisagées. Ceux-ci ont montré (pas seulement au Royaume-Uni) de sérieuses lacunes au lendemain de la pandémie, en sous-estimant systématiquement le risque d’inflation et en influençant ainsi la fonction de réaction de la BoE. Ce sont d'ailleurs ces manquements qui sont à la base de ce rare audit externe. Bernanke pointe aussi les diagrammes symboliques présentant les écarts attendus par rapport à la prévision principale qui, depuis plus de deux décennies, jouent un rôle central dans les rapports de politique monétaire. En guise d’amélioration, Bernanke évoque l'utilisation de scénarios alternatifs.
Hier, l'évaluation de Bernanke a également inspiré Isabel Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne. Cette dernière a évoqué l’utilisation d'un « dot plot » en complément de la communication de la BCE. C'est en 2012 que la banque centrale américaine a, sous l’égide de Bernanke, commencé à publier les prévisions individuelles de tous les gouverneurs de la Fed. La médiane qui résulte de toutes ces projections sert de référence pour définir la marche à suivre. Bernanke cite cette option dans son évaluation, mais ne la recommande par pour la BoE. Le « dot plot » a aussi ses lacunes. En particulier plus l’horizon de prévision est lointain et plus le climat de marché est incertain/volatil. Dans ce cas, la trajectoire de taux attendue vivra sa propre vie et influencera trop les marchés. Certaines études montrent que les prévisions de fin d'horizon et de taux neutre ont fait perdre jusqu'à 130 points de base aux taux longs américains depuis qu'elles sont employées.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC
Les modèles de la BCE, et de la BoE, ont montré de sérieuses lacunes pendant et après la pandémie (prévisions par rapport à la trajectoire effective de l'inflation).
