Abaissement des taux: la conversation reprend
Depuis la fin de la semaine dernière, chacun y va de nouveau de sa propre interprétation en ce qui concerne le calendrier du premier abaissement des taux de la Fed et de la BCE. Avec sa remarque comme quoi nous n’en serions ‘pas très loin’, Powell a (in)consciemment laissé entrevoir la possibilité d’une première intervention pour le (1er du) mois de mai. De son côté, le gouverneur de la Banque de France Villeroy a coupé l’herbe sous le pied de sa compatriote, la présidente de la BCE Lagarde, en évoquant à nouveau le mois d’avril (le 11?). Cela marque peut-être la fin la période de très faible volatilité qui a commencé après que les banques centrales ont forcé les marchés à adopter une ligne de conduite conforme à un premier abaissement en juin. À présent, les marchés monétaires américains et européens estiment la probabilité d’un abaissement plus précoce à environ 25%.
Vu la réaction du marché à la publication du rapport sur le marché du travail américain vendredi, on peut dire que le calendrier redevient un sujet de conversation plutôt qu’un monologue des banques centrales. Les payrolls étayent le scénario Boucles d’or d’un atterrissage économique en douceur, qui permettrait à la Fed de mener une politique monétaire moins restrictive. En février, 275 000 nouveaux emplois ont été créés, plus que les 200 000 espérés. Néanmoins, les révisions à la baisse pour les mois de décembre et janvier (167 000 en tout) ont modéré l’enthousiasme des observateurs. Ces révisions suivent une réécriture approfondie (positive) de la série de données du deuxième semestre de 2023, aplanissant surtout les résultats exceptionnels du mois de janvier (229 000 plutôt que 353 000). Le taux de chômage américain est passé de 3,7% à 3,9%, son niveau le plus élevé depuis janvier 2022, ce qui suggère que le marché du travail est en train de passer d’une situation de pénurie à un équilibre. Entre-temps, la pression salariale a ralenti à 0,1% sur une base mensuelle et à 4,3% en glissement annuel. Aussitôt après la publication des payrolls, les taux américains ont enregistré des planchers correctifs, mais le mouvement s’est rapidement essoufflé. Même constat sur le marché des changes: le dollar a perdu du terrain, pour finalement clôturer à un niveau quasiment inchangé (EUR/USD 1,0940). Seul le yen japonais maintient la pression sur le billet vert. Il y a de plus en plus de rumeurs comme quoi la BoJ pourrait mettre fin à l’ère des taux directeurs négatifs la semaine prochaine. Elle pourrait même renoncer dans la foulée à contrôler le segment long de la courbe (objectif de 1% pour le taux à 10 ans). Tout dépendra de l’issue des négociations salariales annuelles (vendredi). En attendant, le cours USD/JPY se rapproche de son premier niveau de support à 145,90.
Pour l’instant, il n’est pas encore question d’un véritable renversement de la tendance sur le marché mondial du dollar ou le marché des taux américain. C’est pourquoi nous restons prudents d’ici la publication du taux d’inflation américain (demain) et des chiffres des ventes de détail (jeudi) dans une moindre mesure. Ce seront les derniers inputs avant la réunion de politique de la Fed du 20 mars. Pour l’inflation principale et l’inflation de base, le marché s’attend à des hausses mensuelles respectives de 0,4% et 0,3% (3,1% et 3,7% en glissement annuel). Avec l’approche adoptée par Powell, la correction pourrait se poursuivre si les chiffres déçoivent. Enfin, cette semaine, nous garderons l’œil sur l’environnement de risque général. Vendredi, après une ouverture vigoureuse, les bourses américaines ont atteint de nouveaux sommets cycliques (S&P500, Nasdaq), mais ont finalement clôturé la session avec des pertes journalières supérieures au bénéfice journalier du jeudi. D’un point de vue technique, ce type de ‘bearish engulfing’ marque souvent le point de départ d’une correction un peu plus importante.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC