La Lira ne profite pas d’une CBRT plus orthodoxe
Hier, la Turquie a publié ses chiffres d'inflation pour février. Les prix ont à nouveau augmenté de 4,53 % en glissement mensuel et de 67,07 % en glissement annuel. L’inflation de base (hors prix de l’alimentation et de l’énergie) a même grimpé à 72,9 % en glissement annuel. Les fortes augmentations salariales alimentent l'inflation des services. Les prix des denrées alimentaires demeurent également une source de tension sur les prix.
La banque centrale turque (CBRT) a pourtant changé son fusil d’épaule l’année dernière au lendemain des élections, avec l’accord du gouvernement. La « théorie » du président Erdogan selon laquelle les taux élevés entretiennent l’inflation et une forte croissance peut atténuer la tension sur les prix a été abandonnée. Sous la direction du gouverneur Hafize Gaye Erkan, la CBRT a adopté une approche plus orthodoxe. Entre juin de l’année dernière et janvier de cette année, le taux directeur a été relevé de 8,5 % à 45 %. Après un changement de direction le mois dernier, le nouveau président Fatih Karahan a décidé de mettre en pause le cycle de resserrement. Le message est que les relèvements se répercutent sur l’économie avec un certain décalage. La CBRT espère également qu’une amélioration de la position extérieure et un contexte plus stable pour la devise (pas vraiment encore de signes en ce sens à l'heure actuelle) contribueront à terme à la stabilité (des prix). La banque centrale vise une inflation de 5 %. Elle espère un ralentissement à 36 % pour la fin de l’année, mais la plupart des analystes considèrent cette prévision comme trop optimiste. Outre le taux directeur, le CBRT utilise aussi d'autres instruments « qualitatifs » pour freiner l’octroi de crédit, restreindre la liquidité et décourager les dépôts en devises au profit de la lire turque. Reste à savoir dans quelle mesure cela contribuera à une désinflation durable. Officiellement, le changement à la tête de la banque ne sera pas synonyme d'un changement de politique. Force est toutefois de constater qu'au vu du niveau toujours astronomique de l'inflation, la CBRT anticipe une amélioration particulièrement rapide.
Ceux qui pensaient que la politique plus orthodoxe mènerait rapidement à une stabilisation, voire un renforcement de la lire, ont dû déchanter. Depuis fin mai, la devise a de nouveau perdu 35 % par rapport à l’euro ! La nouvelle politique a certes été synonyme d'une hausse des taux d’intérêt, mais elle a aussi visiblement permis d'éviter des interventions excessives sur le marché des changes. La devise doit trouver un équilibre (bien que de manière contrôlée) en fonction de la nouvelle politique. Cet équilibre se trouve toujours à un niveau inférieur.
Vu l’inflation extrêmement élevée, il serait également peu réaliste, du point de vue des coûts, de vouloir stabiliser la devise du jour au lendemain (si cela était vraiment possible). Cela nuirait rapidement à la compétitivité des exportations du pays, mais aussi, par exemple, au secteur du tourisme. À cet égard, la CBRT soutient, avec un certain euphémisme, qu'une hausse réelle de la lire pourrait progressivement contribuer à un ralentissement de l’inflation. En langage humain, cela signifie que la banque continue de miser sur un scénario où le taux de change nominal de la lire continue de s’affaiblir, mais à un rythme plus lent que le différentiel d’inflation (élevé) avec les partenaires commerciaux. Cela reste toutefois un affaiblissement nominal ! SI la CBRT a raison et que l’inflation connaît effectivement un ralentissement au second semestre, les taux d’intérêt réels pourraient alors devenir moins négatifs, ce qui, en théorie, devrait freiner le recul de la lire.À CONDITION évidemment que la banque n’utilise pas immédiatement cette désinflation pour à nouveau abaisser les taux. Un dosage de politiques moins axé sur les incitants budgétaires pourrait aussi aider. Enfin, n'oublions pas que le contexte de marché international pourrait encore venir compliquer les choses. Moralité de l’histoire : la CBRT a fait un pas vers plus orthodoxie, mais beaucoup de pièces devront encore tomber dans le bon sens pour que l'on puisse parler de la fin de la dépréciation de la lire.