Franc suisse trop fort, même pour la BNS
Après un impressionnant rallye de fin d’année, le franc suisse a clôturé 2023 à EUR/CHF 0,93. Un sommet historique, si l'on excepte le « chaos » qui avait suivi la fin des interventions de la banque centrale helvète (BNS) sur le marché des changes début 2015. Le CHF a quoiqu'il en soit été l’une des devises les plus en vue de 2023, avec un gain de 6,5 % par rapport à l’euro et de 10 % par rapport au dollar. Depuis peu, la BNS semble laisser sous-entendre que la vigueur du franc n’est plus une bénédiction, mais plutôt un problème.
Jusqu’au milieu de l’année dernière, la monnaie forte était une « preuve » de l'efficacité du modèle monétaire suisse. Aidée par ses achats de CHF, la SNB était parvenue à limiter l’inflation dans l’État alpin à un niveau très bas par rapport à la situation dans d’autres pays. En 2022, l’inflation suisse avait culminé à 3,5 %, contre 9,1 % aux États-Unis ou 10,6 % dans l’UEM. Et la SNB n’a finalement relevé son taux directeur « que de » -0,75 % à 1,75 %. Depuis juin, l’inflation se situe à nouveau dans la zone cible de 0 %-2 % de la SNB et la banque centrale ne s’attend à aucun changement sur son horizon de politique (jusqu’au troisième trimestre de 2026). Malgré la fin du cycle de resserrement, la SNB reste néanmoins prête à intervenir sur le marché des changes si nécessaire, dans les deux sens. Mais aucun abaissement des taux n'a été évoqué lors de sa dernière réunion de politique en date (décembre). Les taux d’intérêt réels restent limités et la SNB n'a donc aucune raison de se précipiter (première réduction possible en septembre).
Un mois plus tard, la situation a clairement évolué. Le président de la BNS, Thomas Jordan, a tenu à clarifier les choses. Au départ, le franc a connu une appréciation nominale. En termes simples, le renforcement de la monnaie était aligné sur la différence des coûts entre la Suisse et ses partenaires commerciaux. Mais l'appréciation a fini par devenir réelle, ce qui fait mal aux entreprises suisses. Un autre problème pour la SNB est que la récente appréciation est principalement due au net recul des taux à court terme aux États-Unis et dans l’UEM, en raison des anticipations de baisses de taux rapides et agressives. Un point sur lequel la banque a peu de prise.
En théorie, la SNB pourrait à nouveau intervenir pour affaiblir la devise (ventes de francs et achats de devises), mais cela rendrait le mix de politique (taux d’intérêt relativement élevés et, en même temps, nouvelle création de liquidités) peu cohérent. La gestion des réserves de change, déjà importantes, de la BNS pose également problème et fait peser des risques de valorisation. L’autre option serait un abaissement rapide du taux directeur suisse. La banque centrale n'a jusqu’à présent donné aucun indice allant en ce sens. Mais cela pourrait changer, même si cela ne constituera pas une recette miracle au vu de la faiblesse du taux directeur par rapport à la « concurrence » (BCE/Fed). La marge de manœuvre est relativement limitée. Quoiqu'il arrive, nous resterons très attentifs aux commentaires de Jordan et de ses collègues. Pour que le franc corrige, la SNB doit, à court terme, au moins espérer que le marché revienne sur ses anticipations de baisses de taux rapides à la Fed et la BCE. À défaut, la monnaie suisse risque, sans le vouloir, de rester forte. Demain, la SNB suivra également la conférence de presse du président de la Fed, Jerome Powell, avec une attention toute particulière.