Perspectives de la Fed: resserrement quantitatif plutôt qu’abaissements de taux
Ce mercredi, la Réserve fédérale tiendra sa première réunion de politique de l’année. Le taux directeur a atteint un pic de 5,25-5,5% en juillet dernier et s’y maintient depuis lors. Cela ne changera pas cette semaine, mais la ‘forward guidance’ deviendra en principe plus neutre. À partir de là, tout peut arriver. Le président de la Fed, Jerome Powell, tentera-t-il d’infléchir les estimations du marché (qui attribuent actuellement une probabilité de 50% à un abaissement des taux en mars)? Une attitude accommodante serait considérée comme un feu vert pour mars, ce qui pourrait déclencher un nouveau rallye dans les obligations et une amélioration notable du sentiment vis-à-vis du risque.
Powell et ses collègues se livrent à un exercice d’équilibre difficile. Les données statistiques ne leur permettent pas vraiment de relâcher la pression. Au deuxième semestre 2023, la croissance économique a été forte (4,9% en glissement trimestriel en base annuelle au T3; 3,3% au T4). De plus, elle reste principalement portée par la consommation et donc par la demande. Cela va de pair avec un marché du travail robuste et une croissance salariale solide. Entre juin 2022 et juin 2023, l’inflation américaine est passée d’un pic de 9,1% en glissement annuel à 3% en glissement annuel; mais elle fluctue depuis lors entre 3% et 3,7%. L’inflation de base sous-jacente reste même encore un peu plus élevée. Les deux mesures dépassent désormais l’objectif d’inflation officiel de 2% de la Fed depuis près de 3 ans. À cet égard, Powell et ses collègues s’attendent néanmoins à ce que le processus de désinflation se poursuive progressivement. Et c’est pour cela que la Fed se tourne malgré tout vers de possibles abaissements de taux. Elle tient compte du taux directeur réel, corrigé de l’inflation. En effet, à taux directeur (nominal) inchangé, le taux directeur réel augmente à mesure que l’inflation diminue. De ce fait, la politique monétaire réelle devient encore plus restrictive… Avec une inflation (absolue) d’environ 3%, la Fed estime que ce frein supplémentaire est superflu et envisage des abaissements prudents pour éviter que le taux directeur (réel) continue à augmenter. Ce qui rend les choses encore plus compliquées, c’est que les conditions financières aux États-Unis n’ont pas été aussi avantageuses depuis mi-2022. Il s’agit de paramètres marginaux: les niveaux des taux hypothécaires, les primes de risque de crédit, le climat boursier, le taux de change. L’économie américaine a donc déjà plus d’oxygène que ne le préconise la Fed avec sa politique monétaire.
Pour temporiser, nous pensons que la Fed pourrait réorienter le débat vers le deuxième pilier de la politique monétaire: la réduction de son portefeuille obligataire (resserrement quantitatif). Depuis l’été 2022, la Fed laisse ses mesures d’assouplissement quantitatif se résorber. Les obligations arrivées à échéance ne sont plus remplacées, de sorte que la Fed ponctionne chaque mois quelque 100 milliards de dollars de liquidités (excessives) du marché. Bien entendu, il s’agit de la graisse dans les rouages du système financier. La Fed souhaite éviter que la mécanique s’enraye soudain (comme en 2017-2019): le procès-verbal de la réunion de décembre suggérait déjà qu’elle souhaitait élaborer une stratégie pour ralentir le rythme des réductions mensuelles pendant que l’économie se porte bien. Dans un article publié ce mois-ci dans le Wall Street Journal, le journaliste qui suit de près la Fed, Nick Timiraos, a préféré parler du rythme de la réduction du portefeuille d’obligations plutôt que des abaissements de taux. Et dans un entretien, le gouverneur de la Fed Christopher Waller a évoqué un objectif pour la fin du processus de resserrement quantitatif sous la forme du volume des réserves détenues par les banques américaines (10-11% du PIB, soit 2 750 à 3 000 milliards de dollars, contre 3 500 milliards de dollars actuellement). Toutes choses égales par ailleurs, si la Fed met l’accent sur la politique de resserrement quantitatif, le début du cycle de baisse des taux devra attendre.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC