Fed progressive et marché agressif
Dans quelle mesure les relèvements de taux de ces dernières années ont-ils eu un effet modérateur sur l’inflation (et la croissance) ? Combien de temps faut-il pour qu'une hausse de taux percole dans l’économie réelle ? Voilà quelques exemples de questions sur lesquelles le gratin des banquiers centraux et autres universitaires va se pencher au cours des deux prochains jours à Jackson Hole, la station idyllique qui accueille chaque année depuis 1982 le symposium annuel de la Fed de Kansas City. Cette année, l'événement est placé sous le signe du mécanisme de transmission monétaire. Avant le début des discussions, le président de la Fed aura l’honneur de s’adresser aux invités, une tradition initiée par Alan Greenspan en 1989 et qui a permis à Jackson Hole de se forger son nom et sa réputation. C'est surtout Ben Bernanke qui a rendu ce moment particulièrement important, avec ses annonces en avant-première de nouveaux assouplissements monétaires en 2010 (QE 2), 2011 (opération Twist) et 2012 (QE 3).
Cet après-midi, tous les yeux seront donc tournés vers le président de la Fed, Jerome Powell. Ce dernier aura l’occasion de préparer formellement les marchés et les observateurs à une nouvelle phase de la politique monétaire. En septembre, la banque centrale américaine abaissera pour la première fois depuis le début de la pandémie son taux directeur, amarré depuis plus d’un an à 5,25 %-5,50 %. L’inflation est toujours supérieure à 2 %, mais elle commence tout doucement à être maîtrisée. La fragilité de la croissance et l’instabilité sur le marché du travail plaident donc en faveur d’une politique monétaire moins restrictive. Les marchés ont déjà pris une avance considérable sur les interventions que la Fed effectuera cette année et l’année prochaine en vue d'éviter la récession et de permettre l’atterrissage en douceur tant espéré de l'économie.
Comme en début d'année, nous pensons toutefois que les anticipations sont pour le moment un peu excessives’ : 100 points de base (pb) avant la fin de l’année et 125 pb en 2025. Depuis la réunion de juillet, force est de constater que la notion de « progressivité » est revenue sous toutes ces formes dans les discours des membres de la Fed. Ceux qui étaient déjà prêts à opérer le virage politique veulent surtout démarrer de manière prudente. Tout le monde semble avoir soudainement oublié que la Fed ne voudra surtout pas donner l’occasion à l’inflation de revenir en force.
Si Powell prêche tout à l'heure la progressivité, il y aura peut-être à court terme un peu de marge pour que les marchés des taux et des changes touchent leur plancher. En début de semaine, nous avons déjà constaté que la partie longue de la courbe américaine ne fléchissait plus après la publication de chiffres décevants (la révision des « payrolls » par exemple). Hier, nous avons observé le même phénomène avec les taux courts et le dollar. La thèse d'un plancher pourrait encore gagner en vigueur tout à l'heure. Mais nous craignons que cela ne sera que de courte durée. Début septembre sera en effet marqué par la publication des indicateurs de confiance ISM et des « payrolls ». Des chiffres plus faibles pourraient inciter le marché à continuer à miser sur un assouplissement agressif.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC