Le CBO met en garde contre un moment Truss
Le chien de garde de la dette américaine ne grogne plus, il aboie ! Le Congressional Budget Office (CBO) a publié une mise à jour de ses prévisions pour la dette publique et les déficits. L’avenir ne s'annonce pas radieux. Dans un entretien avec le Financial Times, le directeur du CBO, Phillip Swagel, a mis en garde contre un moment Truss sur le marché obligataire américain. Swagel fait ici référence au krach obligataire qui avait frappé le Royaume-Uni à la fin de l’été 2022 suite aux propositions de mesures de relance budgétaires financées par de la dette (supplémentaire) pendant le court règne de la Première ministre Liz Truss et de son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng. Des propositions qui avaient pointé la vulnérabilité des finances publiques dans le nouveau contexte post-Covid.
Le point de départ est simple. Après la crise des dettes dans le monde, et en particulier en Europe, survenue il y a une dizaine d'années, le problème sous-jacent – les niveaux d’endettement trop élevés – n'a pratiquement pas été réglé. La politique monétaire exceptionnellement stimulante a créé une image de stabilité financière en maintenant l'endettement élevé viable. Les chocs inflationnistes pendant et après la pandémie ont aujourd'hui brisé cette image. Un nouveau vent souffle sur Francfort et Washington et affecte le climat de taux. La boule de neige des taux et le cercle vicieux dans lequel elle tourne sont de retour. Le CBO a estimé qu'à lui seul, le coût de financement de la dette en cours passera en moyenne de 1,8 % du PIB sur la période 1994-2023 à 3,1 % cette année, 3,9 % en 2034 et 5 % en 2044. Dans ce contexte, le déficit public américain gonflera de plus de 5 % du PIB cette année à plus de 6 % et plus de 7 % au cours des deux prochaines décennies (dans un scénario où le taux à 10 ans américain se maintient légèrement au-dessus de 4 %). Le chien de garde de la dette tient en outre compte de la fin des programmes de subventions dans le domaine de la sécurité sociale (Obama) et des réductions d’impôts (Trump). La boule de neige des taux refroidira les futurs gouvernements. En termes absolus, les chiffres sont encore plus impressionnants : au cours de la prochaine décennie, les États-Unis paieront 12 400 milliards de dollars de charges d’intérêts, soit plus du double que les dépenses entre 2005 et 2024. Cette année, la charge d’intérêts (870 milliards de dollars) a été plus élevée que les dépenses en matière de défense, par exemple. Seules la sécurité sociale et Medicare accaparent encore une part plus importante du budget. Un constat qui a également de quoi préoccuper, compte tenu du vieillissement de la population américaine. À titre de comparaison, les charges d’intérêts avoisinaient les 350 milliards de dollars juste avant la pandémie. Le taux d’endettement US grimpera de 99 % du PIB aujourd'hui à un niveau supérieur au sommet historique atteint juste après la Seconde guerre mondiale (107 %) en 2029 et se dirigera vers 139 % d’ici 2044. Les États-Unis avaient déjà perdu leur note maximale chez Fitch l’année dernière à cause de ce cocktail explosif et ils risquent de connaître le même scénario chez Moody's cette année. Le pays aura donc alors perdu toutes ses notations AAA tant convoitées.
Le refinancement de la dette américaine ne pose pas encore de problèmes à l'heure actuelle. Plusieurs tendances doivent toutefois être suivies de près. Le marché souverain américain très liquide offre un refuge pour les réserves de change étrangères des banques centrales, par exemple. Avant la pandémie, celles-ci détenaient environ un tiers de la dette américaine. Cette part est entre-temps retombée à moins de 25 %. En plus des alternatives plus attrayantes, le financement par la dette devient aussi une arme géopolitique. Autre constat : le Trésor fait de plus en plus appel, et plus que recommandé, au financement à court terme (les emprunts à moins de 12 mois représentent 22,4 % de l’encours de la dette, comparé au plafond de 20 % recommandé), ce qui est rarement un gage de solidité. Pour le moment, ce sont les fonds monétaires et, dans une moindre mesure, les hedge funds qui maintiennent le navire à flot. Les institutions financières ont les mains liées à cause des réglementations plus strictes. Enfin, il ne faut pas oublier que la Réserve fédérale américaine est en train de réduire la taille de son portefeuille obligataire. Cela signifie que le plus grand acheteur, insensible à l'évolution des cours, est en train de se retirer du marché. L’horloge tourne contre les États-Unis. La marge d’erreur (budgétaire) est quasiment nulle. Tôt ou tard, cela se terminera par un accroissement des primes de risque (de crédit) et une hausse encore plus importante des taux (à long terme) US.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC