La Fed est-elle prête pour la nouvelle réalité?

Cette semaine, l’agenda se bouscule. Partout dans le monde, les banques centrales se réunissent et un aperçu de chaque réunion de politique à venir prendrait trop de place dans cette rubrique. Pour commencer, nous nous limiterons donc à la plus importante: celle de la Réserve fédérale.
Cette réunion du mois de mars va de pair avec une mise à jour des prévisions d’inflation et de croissance, ainsi qu’une nouvelle estimation des membres du conseil de la Fed quant à l’évolution du taux directeur (5,25-5,5%). Et il y a beaucoup en dire, surtout après la publication des statistiques américaines la semaine dernière. Pour la deuxième fois consécutive, l’inflation des prix à la consommation (IPC) a fortement surpris les observateurs. Derrière le chiffre général (3,2%) se cachent toute une série de mesures corrigées qui révèlent un taux d’inflation beaucoup plus tenace encore. L’inflation des prix à la production (IPP) publiée le lendemain s’est renforcée et la reprise en cours depuis l’année dernière s’est accélérée. Cette ‘inflation aux portes de l’usine’ est souvent décisive pour la variante des prix à la consommation. De ce fait, une révision à la hausse des prévisions d’inflation s’impose. Pour la première fois depuis un certain temps, il y a de nouveau des signaux d’alerte. L’économie, toujours résiliente, fait pencher la balance du risque des prévisions du PIB du côté de l’excès plutôt que de la faiblesse; quant au taux de chômage, Powell et ses collègues ne devraient pas se laisser abuser par la hausse inattendue à 3,9% (février). Le marché du travail se normalise, il est tout sauf précaire.
L’économie américaine poursuit sa course formidable et cela soulève une question importante: dans quelle mesure la politique monétaire est-elle réellement restrictive? C’est là qu’intervient le concept de ‘taux neutre’. Les gouverneurs de la Fed l’estiment actuellement à 2,5%. Ce taux neutre ou taux d’équilibre marque la frontière entre une politique de soutien de la Fed (taux directeur < 2,5%) et une politique restrictive (> 2,5%). Bien sûr, un taux de 5,25-5,5% y est encore bien supérieur, mais pourquoi n’en voit-on pas l’impact? Le taux neutre aurait-il pu augmenter de manière structurelle depuis la crise de la Covid? Ce débat ne date pas d’hier et s’insinue de plus en plus dans les discussions des décideurs politiques. Au moins 7 des 18 membres de la Fed estiment à présent que le taux neutre est supérieur à 2,5%. Pour trois d’entre eux, un taux de 3,5% (a minima) serait plus réaliste. Cette façon de voir les choses jette un éclairage nouveau sur le niveau actuel du taux directeur. Nous n’excluons pas que la Fed reconnaisse la nouvelle situation mercredi. Vu l’importance du sujet, même une petite adaptation n’échappera pas au marché. Il suffirait que deux autres membres revoient à la hausse leurs prévisions individuelles.
Le concept de taux neutre à beau être théorique, il a des conséquences pratiques. Plus il est élevé, moins la Fed a de marge de manœuvre pour des abaissements de taux. Il est probable qu’elle envisage toujours trois abaissements cette année, de 75 points de base en tout. Mais au niveau du calendrier, il semble de plus en plus judicieux de commencer en septembre, notamment en raison des effets statistiques qui pousseront le taux d’inflation à la hausse dans les mois à venir et lieront les mains de la Fed. Un calendrier reporté et un taux neutre plus élevé aplaniraient le cycle de baisse des taux, un scénario auquel ni le marché des taux américains, ni le dollar ne sont entièrement préparés.
Prévisions médianes des taux: la Fed reconnaîtra-t-elle la nouvelle réalité?
