La deuxième boussole de la Fed
Le 12 juin, les prévisions qui ont accompagné la décision de politique de la Fed présentaient un message clair. La croissance reste légèrement supérieure au niveau de la tendance neutre et l’inflation se maintiendra au-dessus de l’objectif de 2% pendant plus longtemps. Dans ce contexte, la plupart des gouverneurs de la Fed ne prévoient plus qu’un seul abaissement de taux cette année, au lieu des trois abaissements évoqués dans les prévisions de mars. Mais il y a une ligne du tableau des prévisions qui a très peu fait parler d’elle: le taux de chômage attendu. Il est vrai qu’il n’y a pas non plus de scénario clair. De 4% cette année, le taux de chômage passera à 4,2% l’année prochaine, ce qui est conforme au niveau d’équilibre à long terme.
Or ces derniers jours, les gouverneurs de la Fed ont détourné l’attention du taux d’inflation vers le marché du travail. La gouverneure Lisa Cook, l’un de ses principaux membres, a notamment indiqué que le marché du travail était serré, mais n’était plus en état de surchauffe. Elle a aussi ouvertement soulevé une discussion technique sur le risque de surestimation de la croissance de l’emploi dans les payrolls. La Fed a un double mandat: la stabilité des prix, mais aussi un taux d’emploi maximal. Elle ne peut donc pas se laisser surprendre par un retournement éventuel de la tendance sur le marché du travail. Au début de cette semaine, la présidente de la Fed de San Francisco, Mary Daly (qui a le droit de vote cette année), a également fait remarquer que le marché du travail se trouverait peut-être bientôt à un point d’inflexion. Certaines entreprises en sont à un point où, non contentes de retirer leurs postes vacants, elles réduisent aussi le nombre d’emplois en réaction à la baisse de la demande. Si la situation évolue en ce sens, l’inflation ne sera plus la seule boussole de la Fed.
Cette analyse ne fait certainement pas consensus au sein de la Fed. Néanmoins, les marchés pourraient devenir plus sensibles à un refroidissement/affaiblissement potentiel du marché du travail. La publication des payrolls à la fin de la semaine prochaine constituera le premier point de référence. En parallèle, d’autres données sur le marché du travail gagneront en importance pour le marché.
Ce que cela signifie concrètement pour le positionnement du marché? C’est moins facile à dire. Après une légère amélioration du taux d’inflation (en mai), les investisseurs anticipent les orientations de la Fed (probabilité de 70% d’un premier abaissement en septembre; probabilité de 80% d’un abaissement supplémentaire en décembre). Vu la trajectoire de l’inflation, toujours en dents de scie, le marché du travail devrait se détériorer très fortement et très rapidement pour qu’un abaissement encore plus précoce puisse être envisagé. Plus loin sur la courbe, on retrouve un peu plus de marge. Le marché monétaire table notamment sur un taux directeur proche de 4% fin 2025 et sur un plancher dans le cycle des taux à un peu plus de 3,5% fin 2027. C’est toujours supérieur au taux neutre, même en partant du principe qu’il serait supérieur à ce que la Fed a récemment indiqué (à savoir 2,75%). Sur ce segment de la courbe, il y a donc encore de la marge pour un repositionnement si le marché du travail se refroidissait à une vitesse inattendue. Mais y aura-t-il effectivement un taux plus bas à la fin du cycle? Entre maintenant et 2027, le marché pourra encore souvent changer d’avis en fonction des derniers développements, par exemple après les élections américaines. À court terme, des données moins réjouissantes sur le marché du travail risquent cependant de pousser les taux d’intérêt américains à court terme en dessous des niveaux de support récents (ex.: 4,7% pour le taux à 2 ans).