Powell appuie sur l'accélérateur
"Restaurer la stabilité des prix". Le titre du discours donné par le président de la Fed, Jerome Powell, pour la National Association for Business Economics, rend les vingt paragraphes suivants quasiment superflus. À peine une semaine après le premier relèvement de ce cycle, Powell resserre déjà la vis pour les mois à venir.
Avec le recul, le relèvement de 25 points de base opéré la semaine dernière s'apparente presque à un geste de "retenue" dû à l’invasion de l'Ukraine par la Russie. Sans ce conflit, le taux directeur aurait sans doute déjà été rehaussé de 50 points de base. La Fed ne se laissera pas aveugler dans les prochains mois. Bien que la décision officielle n’ait pas encore été prise, Jerome Powell estime que "rien" ne pourra empêcher la banque centrale d'augmenter son taux directeur de 50 pb le 4 mai (et le 15 juin ?!). L’inflation posait déjà un sérieux problème, mais elle est encore attisée par la guerre. Les prix de l’énergie, de l’alimentation et d’autres matières premières s'envolent. L’effet inflationniste sera probablement plus fort qu’après les confinements liés au Covid. Et Powell ne laisse planer aucun doute sur le fait que la Fed relèvera son taux directeur au-dessus du taux neutre (+/- 2,5 %) si nécessaire. Jusqu’à la réunion de politique de la semaine dernière, les marchés n'anticipaient pas vraiment un taux directeur restrictif. Nous avons constaté la semaine dernière que les projections médianes de la Fed misaient sur le scénario de rêve, dans lequel l’inflation se stabilise autour de son objectif grâce au resserrement de la politique monétaire, sans laisser de traces sur la croissance et l’emploi. Powell a apporté des nuances. La politique monétaire n'est pas un instrument qui permet de cibler uniquement l’inflation avec une précision chirurgicale. Des effets secondaires (économiques) seront inévitables. La Fed est prête à les assumer.
Une fois de plus, le mot d’ordre est “harder, better, faster, stronger”. À la fin de l’année passée, la Fed pensait qu’elle allait pouvoir réduire progressivement ses incitants monétaires. Ensuite, elle pensait qu’elle allait pouvoir commencer à relever son taux directeur tranquillement. Pensait... Pour ceux qui en doutaient encore : la trajectoire de la normalisation n'aura plus rien de graduel. Pour la prochaine étape, on s'attend à ce que le taux directeur atteigne son plus haut cette année au lieu de l’année prochaine. Les taux du marché monétaire américain anticipent déjà un taux directeur de 2 %-2,25 % à la fin de cette année. Hier, les taux américains ont gagné 14 à 18 points de base sur le segment entre 2 et 10 ans. Et le mouvement se poursuit ce matin, avec de nouveaux sommets par rapport au début de la reprise sur l’ensemble de la courbe. Les taux européens suivent dans leur sillage. Le taux swap européen à 10 ans n’est plus qu’à quelques points de base du sommet de 2018 à 1,19 %. La patronne de la BCE, Christine Lagarde, a beau souligner que l’Europe n’est pas les États-Unis, le marché (des taux) craint un mouvement de rattrapage similaire. Concernant l’accélération du démantèlement progressif de la politique accommodante, elle a déjà obtenu gain de cause. Hier, Lagarde a également déclaré que l’économie européenne continuerait de croître cette année, même dans le scénario le plus pessimiste par rapport à l'Ukraine. Entre les lignes, nous comprenons que la guerre ne mettra pas un terme au combat contre l’inflation qui vient d'être entamé. Sur le marché des changes, le cours EUR/USD est temporairement passé sous la barre de 1,10 sous l'impulsion des taux américains. Mais les gains du dollar sont, dans l'ensemble, restés limités. Pour nous, il s'agit d'un nouveau signe que le marché croit enfin au soutien que peut apporter la BCE. "Tout faire quoi qu'il en coûte" ("whatever it takes") pour lutter contre l’inflation.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC