Le rallye des taux suspend son cours
Après une ascension vertigineuse, le marché des taux reprend son souffle. Suite à la plus forte hausse de l’inflation en quatre décennies, le taux américain à 10 ans a passé la plus grande partie de la semaine au-dessus de 2% jeudi et vendredi, pour finalement devoir se contenter d’une clôture hebdomadaire de 1,91%. À court terme, le momentum des taux d’intérêt est rompu et la correction/consolidation est en passe de se poursuivre.
À l’origine de ce revirement, survenu pendant les heures de négociation américaines: un avertissement du conseiller à la sécurité nationale américain Sullivan, qui a déclaré que la Russie était susceptible de mener des actions en Ukraine avant la fin des Jeux d’hiver (le 20 février). Jusqu’à présent, l’escalade du conflit géopolitique affectait surtout le marché de l’énergie. Mais l’annonce de Sullivan a encore fait chuter les bourses américaines, jusqu’à -2,8% pour le Nasdaq. Le paysage technique des principaux indices suggère à présent un retour généralisé en direction (ou en deçà) des planchers annuels. Les actions américaines ont pris la main et ont dirigé le reste du marché, selon le principe de la valeur refuge. Les taux américains ont fortement baissé. Pour notre part, nous considérons la menace géopolitique plutôt comme une opportunité de prise de bénéfices que comme un thème de marché fort, sauf pour ce qui concerne les marchés de l’énergie.
Les prévisions monétaires, qui sont à la base du rallye des taux, ont néanmoins fortement basculé en peu de temps. Les membres de la BCE surtout appellent à un reality check: selon les directives (certes dépassées) en vigueur, la BCE restera acheteuse nette d’obligations au moins jusqu’à la fin de cette année, et un premier relèvement des taux ne suivra qu’après la fin de ces achats nets. Le membre irlandais de la BCE Makhlouf constate que le marché des taux européen mise déjà sur un premier relèvement des taux en juin. Selon lui, “prématuré” est un euphémisme: la ligne du temps des marchés est beaucoup plus avancée que celle de la BCE, même si Francfort commence à se rendre compte qu’une accélération de la normalisation de la politique s’impose.
Dans les jours/semaines à venir, le centre de gravité pourrait s’écarter du marché des taux et de la surenchère du pessimisme. Entre le moment présent et les importantes réunions de politique de la Fed et de la BCE à venir, une mise à jour de l’inflation est prévue, mais au début du mois de mars seulement. Les marchés ne sont sans doute pas au bout de leurs peines. Outre le risque géopolitique, les perspectives de croissance sont de plus en plus faibles. L’inflation sous-jacente ronge le revenu disponible des consommateurs, devenus plus frileux. Enfin, outre l’augmentation des frais de transport et de matériel, les entreprises sont confrontées à une croissance de la masse salariale. Tout cela a pour effet de tempérer l’enthousiasme des investisseurs… Enfin, la politique fiscale extrêmement généreuse touche à sa fin et sera bientôt doublée d’une politique monétaire plus normale. Aujourd’hui, les principaux indices européens chutent de 3% et plus. L’EuroStoxx 50 teste un soutien crucial dans la zone basse des 4 000. La probabilité d’une rupture à la baisse augmente. Le prochain point de référence technique est le pic pré-covid de 3 867. Ensuite, nous nous dirigeons vers 3 608 (retracement de 38% sur le rallye de mars 2020/novembre 2021). Sur le marché des changes, depuis vendredi, la balance penche en faveur du dollar. Le test du niveau de résistance de EUR/USD 1,1482 est provisoirement terminé. La paire de devises se négocie ainsi au milieu d’une fourchette de fluctuation latérale de 1,1121-1,1482.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC