Normalisation à vitesse inégale
La semaine dernière, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a laissé entendre que la normalisation de la politique monétaire allait peut-être commencer plus tôt que prévu encore il y a peu dans la zone euro. Avec un peu de retard, la BCE s'apprête à marcher dans les traces de la Banque d'Angleterre (BoE) et de la Réserve fédérale américaine (Fed). Même si sa trajectoire de normalisation n’est pour l’instant pas encore très concrète (voir nos articles des 3 et 7 février).
Divergences économiques
Ce flou est cependant compréhensible au vu de la situation économique moins claire dans la zone euro. L’économie s’est remise moins rapidement de la récession due au coronavirus qu’aux États-Unis, où elle avait déjà renoué avec son niveau d’avant la pandémie au premier trimestre de 2021. Dans la zone euro, les estimations flash du PIB montrent que cela n’aurait eu lieu qu’au quatrième trimestre de 2021. Cette estimation a d’ailleurs fait état d'un nouveau ralentissement marqué de la croissance au quatrième trimestre. Mais le tableau doit tout de même être nuancé. En Espagne, en Italie, en France et en Belgique, le ralentissement est resté plus limité que prévu, alors qu’il s'est avéré beaucoup plus prononcé en Allemagne. Les nouvelles contaminations, les pénuries de puces électroniques et autres goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement ont davantage pesé sur l’économie allemande, surtout par rapport aux États-Unis. Outre-Atlantique, la croissance économique s'est renforcée au quatrième trimestre (voir graphique). Les indicateurs avancés suggèrent toutefois que l’économie européenne demeure résiliente.
Aujourd’hui, ce n’est évidemment pas tant la croissance économique, mais bien surtout l’inflation qui tient les banques centrales en haleine. Si celle-ci a atteint un plus haut historique dans la zone euro, elle est encore bien plus élevée aux États-Unis. Dans la zone euro, l’inflation s’explique toujours en grande partie par la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation. L’inflation de base est certes nettement plus élevée qu’avant la pandémie, mais elle reste tout de même pour l’instant relativement limitée (à 2,3 %), surtout quand on sait qu'elle est probablement encore faussée par les perturbations provisoires dues à la pandémie. Aux États-Unis, l’inflation de base a en revanche atteint 5,5 % en décembre, soit près de trois fois plus que l’objectif de la banque centrale.
Outre-Atlantique, tous les yeux seront donc tournés vers le chiffre de l'inflation du mois de janvier, qui sera publié plus tard cette semaine. Mais il est d’ores et déjà clair que l'inflation de base plus élevée aux États-Unis est le signe de pressions inflationnistes sous-jacentes plus fortes que dans la zone euro. Le chômage y est plus faible et les salaires y sont repartis fortement à la hausse (voir graphique). Le marché de l’emploi se resserre aussi dans la zone euro, mais cela ne s'est pas encore traduit dans les salaires. Ceux-ci vont néanmoins certainement aussi repartir à la hausse, étant donné les difficultés à trouver de la main-d'œuvre et le fait que la demande ne semble pour le moment pas encore avoir été beaucoup affectée par la diminution du pouvoir d’achat. En attendant, l’inflation de base pourrait rester sous pression haussière étant donné que, dans ce contexte, les entreprises pourront plus facilement répercuter la hausse de leurs coûts énergétiques sur le consommateur. Mais cela ne reste qu'une hypothèse pour le moment. Il est aujourd'hui encore difficile de savoir comment l'inflation évoluera dans la zone euro. Dans un premier temps, la BCE va donc sans doute prendre le chemin de la normalisation de manière mesurée - ou, pour reprendre les mots de Lagarde hier au Parlement européen, de manière "progressive". Avec le risque de devoir accélérer (fortement) la cadence par la suite...