En revenir finalement à “l’ancienne normalité”
Vendredi, la surenchère sur le marché des taux s’est poursuivie. Jeudi, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a en effet déchaîné les marchés des taux européens après avoir admis les risques d’inflation haussière et avoir déclaré qu’un relèvement des taux d’intérêt cette année n’était plus exclu. Les taux d’intérêt de l’UEM ont reçu le message cinq sur cinq. Aux États-Unis, la situation était un peu plus calme dans un premier temps: les marchés américains tablaient déjà sur cinq relèvements des taux d’intérêt de 25 points de base cette année, et en outre, l’incertitude planait encore sur le rapport sur l’emploi de vendredi. Omicron menaçait de fait d’entraver la reprise du marché de l’emploi. Un passage à vide ponctuel n’aurait pas suffi à miner l’économie post-omicron, mais était susceptible de tempérer l’enthousiasme vis-à-vis des taux d’intérêt…
Finalement, pas de douche froide à ce niveau. Si omicron a eu un impact, celui-ci est tombé entre les mailles du filet statistique. Le mois dernier, les États-Unis ont créé 467 000 emplois nets et la croissance pour les mois précédents a été augmentée de 701 000 unités. Les hausses salariales s’accélèrent (0,7% en glissement mensuel et 5,7% en glissement annuel). Le taux de chômage a légèrement augmenté; mais cela s’explique par un taux de participation plus élevé. À la fin du mois dernier, le président de la Fed Jerome Powell avait déjà enfoncé le clou: ce cycle économique, disait-il, n’est pas comme les précédents. L’économie affiche une croissance supérieure à la tendance, nous avons renoué avec le plein emploi, les salaires sont à la hausse et l’inflation atteint un rythme inédit. Ce cycle de taux s’annonce donc aussi différent des précédents… À ce stade, les derniers réticents doivent bien l’admettre. Les taux d’intérêt américains se sont envolés, rivalisant avec les taux européens. Les taux à 2 ans gagnent 11 points de base de plus (> 1,30%)! En dépit de la courbe plus plate, les taux à 10 ans ont signé un nouveau sommet cyclique (1,93%). À titre de comparaison, à la mi-décembre, ces taux étaient respectivement de 0,60% et 1,40%! Le temps où la forward guidance et l’assouplissement monétaire domptaient les marchés obligataires est clairement révolu. Le nouveau rebond des taux d’intérêt américains a également donné un coup de pouce supplémentaire aux taux de ce côté de l’Atlantique. Le taux swap européen à 10 ans cote à 0,65%, contre 0,10% mi-décembre! Désormais, les taux du marché monétaire tiennent compte d’un taux directeur positif de la BCE d’ici la fin de cette année. En cela, ils devancent même (pour l’instant) les faucons de la BCE. Le membre du conseil des gouverneurs Klaas Knot a déjà été assez net ce week-end en faisant allusion à un relèvement des taux au quatrième trimestre.
Après le repositionnement abrupt de la semaine dernière, l’on pourrait s’attendre à une consolidation. Mais l’expérience, notamment en Europe centrale, nous enseigne que tant que l’inflation reste supérieure aux attentes, les banques centrales font l’objet d’importantes pressions pour mener des actions énergiques. Cette semaine, nous attendons donc aussi avec impatience les chiffres de l’inflation américaine pour le mois de janvier. Le marché s’attend à une nouvelle hausse à 7,3% en glissement annuel pour l’inflation générale et à 5,9% pour l’inflation de base. Ainsi, le pic d’inflation cyclique sera peut-être à portée de main. Reste à savoir s’il y aura un refroidissement et si oui, à quel rythme.
Cette fois-ci, l’agitation relative aux taux a impacté le marché des changes. L’euro a perdu une partie de sa “décote BCE”. En un peu plus d’une semaine, le cours EUR/USD est passé de 1,1121 à un test du niveau de résistance de 1,1484. Aucune rupture n’a cependant encore eu lieu. La reconquête de la zone 1,1484/1,1524 améliorerait considérablement le paysage technique. Quoi qu’il en soit, le plancher du différentiel EUR/USD est mieux soutenu, maintenant que la BCE a rendu sa carte de membre de la “team temporary”. Dans la mesure où le repositionnement des taux ira de pair avec une volatilité accrue (périodes d’aversion au risque), le dollar pourra encore opposer une certaine résistance. En outre, le plan de normalisation de la BCE n’est pas encore très concret. Les déclarations de Knot sont probablement les premières d’une longue série. Même après le repositionnement récent, l’Europe a encore du rattrapage à faire par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni. Mais le temps joue-t-il désormais en faveur de l’euro?