BCE : le report de trop ?
La BCE n’avait qu’une seule mission à remplir lors de sa réunion d'hier : tempérer l’enthousiasme du marché vis-à-vis des relèvements de taux.Sans succès. À l’approche de la réunion d’octobre, les marchés des taux européens à court terme tablaient en effet déjà sur un premier rehaussement de 25 points de base en fin 2022. Après les explications, ils ont encore gagné 4 à 5 points. Et le reste de la courbe des taux européenne a enregistré des mouvements d’un même ordre de grandeur.
Nous ne sommes pas habitués à ce que les taux augmentent après une réunion de la BCE. Raison pour laquelle nous nous y attarderons dans cet article. Même si la réunion d'hier n’était en fait qu'un passage obligé en attendant l’importante réunion de décembre. Selon nous, le rebond des taux trouve son origine non seulement dans ce que Lagarde a dit, mais aussi dans ce qu’elle n’a pas dit. En ce qui concerne le repositionnement agressif sur l’extrémité courte de la courbe, la présidente a sèchement fait remarquer qu’il n’était pas en ligne avec la "forward guidance" actuelle. L’économiste en chef, Philip Lane, lui avait déjà préparé le terrain il y a quelques semaines. Elle est parvenue à afficher une attitude beaucoup plus défensive, s'appuyant notamment sur la récente révision stratégique qui rend la BCE plus tolérante à une hausse temporaire de l’inflation (>2 %). Ce que Lagarde n’a pas non plus dit si on le lui avait demandé, c’est que le marché se trompe clairement. Comme si ce n'était pas à elle d'en juger. Cela mérite d'être discuté. Les taux du marché monétaire européen sont le premier et le principal dérivé de la politique de taux attendue. Si, comme c’est le cas aujourd’hui, ces derniers ne cessent de s’écarter des intentions (officicielles) de la BCE, vous ne pouvez pas, en tant que banque centrale, l'ignorer. Bref, un nouveau petit coup de frein donc.
Un peu plus loin sur la courbe, les taux à long terme ont seulement été soutenus par la hausse des prévisions d’inflation ces dernières semaines.De nombreux indicateurs d’inflation se sont installés (largement) au-dessus des 2 %. Convenablement ancrés, selon Lagarde.À moyen terme, cela aidera même à ramener l’inflation réelle en direction de l’objectif de 2 %. Notre interprétation est différente. Nous voyons le brusque mouvement relatif comme un message clair à l’adresse de la BCE : continuer à ignorer l’inflation a un coût.
Il ne semble pas non plus que la BCE changera rapidement son fusil d’épaule. Lagarde est toujours convaincue que l’inflation ralentira à nouveau à partir de l’année prochaine, même si elle a pour la énième fois reporté un peu plus loin le timing sans explication. Il est impossible de continuer de la sorte sans perdre en crédibilité. La BCE s'accroche à sa notion de "temporaire" comme à une corde et celle-ci a craqué hier. C’est ce que nous en concluons au vu de l'évolution des taux réels, qui ont pour la première fois depuis longtemps amorcé une remontée sur le long terme hier. Pour le taux allemand à 10 ans, la hausse se chiffre même à 11 points de base. Cette dynamique se poursuit d’ailleurs aujourd’hui, soutenue par de bons chiffres de croissance au troisième trimestre (2,2 % en glissement trimestriel) et une inflation à 4,1 % en glissement annuel (inflation de base de 2,1 %) - un niveau équivalent au record de 2008 ! Cela met la BCE dans une situation délicate. Plus elle ignorera la menace inflationniste, plus le marché s’attendra à ce qu'elle finisse par devoir réagir de manière conséquente. L’euro a aussi, contre toute attente, gagné du terrain hier. Le cours EUR/USD a grimpé du plancher de 1,16 au-delà du premier niveau de résistance intermédiaire de 1,1664. Une rupture durable à la hausse ouvrirait la voie à un retour en direction de 1,1752. Nous considérons ce seuil comme une première condition pour pouvoir déclarer la fin du momentum négatif de l’euro.