Le dollar cherche son souffle
Le chiffre de l’inflation américaine pour le mois de décembre publié mercredi s'est avéré un point de bascule pour le dollar. Le consommateur moyen paie 7 % de plus qu’il y a un an pour ses achats, la hausse la plus rapide enregistrée depuis 1982. La réaction du marché des changes face à l’inflation est souvent ambiguë. Selon la théorie, une hausse des coûts internes doit être compensée par une dépréciation de la monnaie. Toutes choses étant égales par ailleurs, une inflation élevée entraîne également des taux réels plus bas, à moins évidemment que la banque centrale ne relève ses taux. Et le marché compte souvent sur cela. Voilà pour la théorie.
Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises l’évolution rapide des intentions de la Fed. Le "consensus" au sein de l'institution table désormais au moins sur trois relèvements de taux en 2022. L'allègement progressif du bilan démarrera également cette année. Reste à savoir quand et à quel rythme. Jusque fin novembre, la Fed tablait sur une hausse du dollar pondéré des échanges commerciaux de plus de 7 %. Le cours EUR/USD a perdu près de 9 %, parce que la BCE continue de qualifier la poussée d'inflation de temporaire. Depuis début décembre, le dollar ne profite plus de la rhétorique anti-inflation. Les taux d’intérêt n’ont pas non plus augmenté après la parution du rapport sur l’inflation. Apparemment, le marché en est arrivé à la conclusion, du moins provisoirement, qu'il y avait suffisamment de bonnes nouvelles intégrées dans les taux. "What can’t go up, must come down." La rupture de niveaux techniques dans plusieurs combinaisons du dollar (DXY 95,50 ; EUR/USD 1,1386 ; USD/JPY 115,50/00) a renforcé le mouvement stop-loss en USD. Mais d'autres facteurs fondamentaux pèsent aussi dans la balance.
La Fed a beau envisager une accélération de la normalisation, les taux restent fortement négatifs, surtout sur la partie courte de la courbe (taux directeur de 0,0 % moins 7,0 % d'inflation ). À titre de comparaison, le taux de dépôt dans l'UEM s'élève à -0,5 %, moins 5,0 % d'inflation. Même si la Fed relève son taux directeur de 1,0 pp cette année et que l’inflation s'essouffle, les taux resteront dans le rouge. Cela vaut évidemment aussi pour d’autres devises et d'autres banques centrales, mais cela relativise tout de même l’avantage de taux du dollar, surtout pour un pays affichant des "déficits jumeaux" ("twin deficits" en anglais). Jusqu’à présent, la Fed évoque surtout la possibilité des resserrements. Il est encore impossible de dire où le taux directeur se situera à la fin du cycle. Dans leurs "dots" de décembre, les gouverneurs voient toujours le taux directeur fortement inférieur au taux neutre (2,5 %) en fin 2023 (1,625 %) et même en fin 2024 (2,125 %). Ce n'est pas neuf, mais cela peut aider à comprendre pourquoi certains en sont arrivés à la conclusion que suffisamment de bonnes nouvelles sur l’USD ont entre-temps été intégrées. La réduction progressive du bilan comporte aussi sa part d'ambiguïté. Les taux à long terme grimpent, mais les investisseurs (étrangers) vont-ils si facilement reprendre le rôle de financier de la Fed ? Le problème des "twin deficits" se pose également ici. De par son nouveau statut de devise à rendement "relativement" élevé, le billet vert a également plus difficile à jouer son rôle de valeur refuge, dans un contexte de corrections boursières dues à une hausse des taux réels. Enfin, last but not least, le marché s'attend à ce que les autres banques centrales décident à un moment donné de suivre le mouvement. Malgré le discours accommodant de la BCE, la courbe de l'Euribor à 3 mois est déjà en positif pour le second semestre de l’année prochaine. Et oui, vous lisez bien : un article publié ce matin par Reuters explique que, selon des "sources bien informées", même la BoJ discuterait de la possibilité de rendre sa politique moins souple, même si l’inflation n’atteint pas encore 2 %.
Pour le moment, la correction du dollar US est probablement surtout due à des prises de bénéfices au terme d'une longue tendance. La barre pour de nouveaux gains du dollar est placée plus haut (ex. : dots de la Fed au-dessus du taux neutre). À court terme, la paire EUR/USD pourrait s’installer dans un nouveau canal entre 1,14 et 1,16, avec un niveau de résistance intermédiaire proche de 1,1530.