Un accord commercial pour vous contredire ?
Après plus de huit années et une trentaine de cycles de négociations multilatérales, l'heure a enfin sonné. Ce 1er janvier 2022 est entré en vigueur le Partenariat régional économique global ("Regional Comprehensive Economic Partnership" ou RCEP), l’un des plus grands accords de libre-échange jamais signés. Il s’agit d’un accord conclu entre quinze pays asiatiques, qui représentent ensemble un tiers de la population mondiale et du PIB mondial. Ce "bloc commercial en devenir" a sa place dans la cour des grands : en termes de PIB, il dépasse les zones de libre-échange de l’Espace économique européen (EEE) et de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).
Cet accord est non seulement remarquable par sa taille, mais il l'est aussi par sa diversité. Parmi les quinze pays signataires, on trouve aussi bien des grands que des petits pays, des riches et des pauvres. Le fait que la Chine, le Japon et la Corée du Sud signent un accord de libre-échange peut en outre déjà être qualifié d’historique et montre que l’Asie souhaite poursuivre sur la voie de l’intégration régionale.
L’accord lui-même est moins ambitieux. Il vise en premier lieu à éliminer les obstacles commerciaux internes (90 % des droits de douane), en particulier pour les produits finis. L’agriculture et certaines parties du secteur des services ne sont pas concernés, ou uniquement partiellement. Les analystes s’attendent à ce que cet accord stimule encore davantage le commerce régional en Asie et, à terme, à ce qu’il entraîne une plus grande intégration et un renforcement des chaînes d’approvisionnement sur le continent. Contrairement à d’autres accords commerciaux, le RCEP ne prévoit aucune norme minimale en ce qui concerne les conditions de travail, la protection de l’environnement ou les droits de l’homme.
Le RCEP présente un énorme potentiel économique. Des simulations réalisées par le Peterson Institute for International Economics (PIEE) pointent d’importants gains d’efficacité grâce à une meilleure utilisation des facteurs de production, de la technologie et des matières premières. Le PIEE évalue l'impact positif sur le PIB mondial à environ 200 milliards de dollars, alors que le commerce international devrait augmenter d’environ 500 milliards de dollars. L'accord ne profitera pas à tous les pays de la même manière. En effet, les accords commerciaux préférentiels ont pour effet de créer des échanges, mais aussi de les dévier. Les échanges à l’intérieur du bloc augmentent, mais ceux qui viennent de l'extérieur ont plutôt tendance à diminuer. Les membres de cette nouvelle zone, comme le Japon, la Chine et l’Australie, sont donc les grands gagnants, alors que les pays qui n'en font pas partie, comme les États-Unis et l’UE ou l’Inde (qui s’est retirée des négociations au dernier moment) sont les perdants. L’absence de l’Inde peut certainement être considérée comme une occasion manquée pour le RCEP.
Mais la principale conclusion qui s’impose de plus en plus est que la division orwellienne du monde devient de plus en plus une réalité, du moins en ce qui concerne le commerce. Sur le plan géopolitique, le grand gagnant du RCEP est la Chine, qui, en l’absence de l’Inde, s'imposera comme le pion majeur de ce nouveau bloc de libre-échange en devenir.
Hans Dewachter, KBC Group Chief Economist