Un (petit) pas sur la longue voie de la normalisation
Hier, les banquiers centraux se sont pressés sous les feux de la rampe. Du Mexique aux Philippines en passant par la Turquie et la Norvège, les banques centrales se sont penchées sur le taux d’inflation qui, pour la plupart d’entre elles, s’éloigne de plus en plus de l’objectif. En Europe, l’attention s’est portée sur la Banque d’Angleterre (BoE) et la BCE.
Malgré sa frilosité et une communication chahutée, la BoE fait un bond en avant qualitatif. En novembre, Bailey et ses collègues avaient reporté le relèvement des taux d’intérêt à la dernière minute, voulant d’abord être certains que la fin du régime de chômage temporaire ne gripperait pas la reprise du marché du travail. Les récentes statistiques de l’emploi sont toutefois restées très solides et entre-temps, l’inflation a dépassé les 5%. La messe est dite: malgré l’incertitude liée au variant omicron, l’inflation est désormais prioritaire, devant la croissance ou l’emploi. Forte d’un large consensus (8-1), la BoE a effectué un premier relèvement de 0,1%, à 0,25%. C’est certes modeste, mais le processus est lancé. Cette étape va en outre de pair avec la clôture du programme d’achat d’actifs (assouplissement quantitatif) de 895 milliards de livres. La BoE laisse ainsi derrière elle la crise et entame la normalisation. À quel rythme les prochaines étapes seront-elles entreprises? En novembre, la BoE avait indiqué qu’un relèvement limité à 1% (ou un peu plus) sur l’horizon de politique pourrait suffire à ramener l’inflation à 2%. Mais les prévisions d’inflation s’avèrent insaisissables (à la hausse) et la BoE table à présent sur un taux avoisinant les 5%, avec un pic de 6% en avril, après quoi un refroidissement devrait suivre (espérons-le). En février, la BoE disposera de perspectives fraîches. Avec l’inflation promue au rang de priorité absolue, l’on pouvait s’attendre à une dose de “frontloading” monétaire. Dans un premier temps, les taux britanniques ont grimpé à 8 points de base; mais ensuite, une correction “risk-off” a en grande partie effacé ces gains. La livre n’en a pas non plus profité de manière durable. Quant à l’euro, il a bénéficié d’un short squeeze (limité) à la suite de l’annonce de la BCE. Le cours EUR/GBP a clôturé en terrain connu, autour de 0,85.
Ce qui nous amène sans transition à la BCE. Pas de bond qualitatif de ce côté, mais une feuille de route pour l’ère post-PEPP: les achats nets effectués dans ce cadre prendront fin au mois de mars. Pour une transition progressive après le PEPP, le programme d’achat d’actifs (APP) régulier (actuellement fixé à 20 milliards d’euros par mois) sera temporairement porté à 40 milliards d’euros au deuxième trimestre, pour être ramené à 20 milliards d’euros au quatrième trimestre. Les réinvestissements du portefeuille PEPP existant resteront flexibles au moins jusqu’en 2024, afin d’assurer une bonne transmission de la politique dans toute l’UEM. La BCE maintient le principe selon lequel les achats dans le cadre de l’APP ne s’arrêteront que peu avant le premier relèvement des taux d’intérêt: pas de relèvement des taux en 2022, donc. Les partisans d’une normalisation plus rapide ont toutefois détecté une petite ouverture dans un “mais” prononcé lors de la conférence de presse: en principe, pas de relèvement des taux, MAIS la politique sera évaluée chaque trimestre sur la base des données. Parlons-en, de ces données: la BCE a justement revu ses prévisions d’inflation à la hausse pour cette année (2,6%) et l’année suivante (3,2%). L’inflation retombe à 1,8% en 2023 et en 2024. Objectif manqué de justesse, donc… Cependant, vu la révision des prévisions d’inflation pendant l’année écoulée, un “mais” peut s’appliquer ici également.
En somme: un grand saut qualitatif? Non. Un premier pas, conditionnel, sur la voie de la normalisation? Plutôt oui! Comme au Royaume-Uni, un “risk-off” général initial a presque réduit à néant l’effet de la première hausse des taux. L’euro a cependant conservé un modeste bénéfice et cote au-dessus de 1,13. Un revirement? Pas encore… Mais les avancées prudentes de la BCE pourraient tempérer la tendance baissière.