Le calme avant la tempête
Pour la première fois depuis la suspension pendant la pandémie, l’Europe a de nouveau passé en revue les finances publiques de ses États membres. À quelques exceptions près, l’analyse varie de mauvaise (France, Belgique...) à un peu moins mauvaise (Italie, Portugal...). L’Allemagne fait également partie de ce dernier groupe. La Cour constitutionnelle a jugé la semaine dernière que la réduction du déficit budgétaire avait été rendue possible par un tour de passe-passe budgétaire, avec la réaffectation de fonds non utilisés qui bénéficiaient de la suspension des règles du frein à l'endettement. Atteindre l’objectif (de déficit) budgétaire de 3 % fixé par le traité de Maastricht reste plus du domaine du rêve que de la réalité pour de nombreux pays. Sans parler de la réduction progressive de l’endettement en direction de 60 % du PIB...
Nous avions prévenu la semaine dernière que les finances publiques et l’augmentation des primes de risque de crédit seraient de nouveau sur le radar des marchés dans les années à venir. Les thèmes structurels tels que le vieillissement, la transition énergétique ou la défense prennent déjà une grande partie du budget. Ajoutez à cela le risque d'un effet boule de neige des taux d’intérêt et des initiatives de croissance cyclique et vous savez à quoi vous en tenir. D’autant plus que la BCE n'est plus là pour se poser en garantie de la croissance et acheter, quel que soit le prix, les dettes publiques. Depuis cet été, la banque centrale est en train de réduire de façon naturelle son portefeuille obligataire historique APP (+- 3 200 milliards d'euros). Au cours des mois suivants, la somme des échéances s’élèvera en moyenne à 25 milliards euros. Ce montant ne cessera pas d'augmenter à mesure que la duration du portefeuille diminuera. En outre, de plus en plus de voix s'élèvent pourmettre fin au portefeuille PEPP lié à la pandémie. François Villeroy de Galhau, membre français du conseil des gouverneurs de la BCE, a notamment plaidé en ce sens hier. Officiellement, la BCE réinvestira encore tous les fonds du portefeuille PEPP arrivés à échéance jusqu’au moins fin 2024, ce qui maintiendra le montant total (environ 1 800 milliards d'euros) constant. Ce principe nuit aux efforts consentis via le taux directeur et l’APP en vue de ramener l’inflation vers l’objectif de 2 % par le biais d’une politique monétaire restrictive. Plus les liquidités (excédentaires) continueront de circuler dans le système financier, moins l’effet modérateur des hausses de taux sur la croissance et l’inflation se fera sentir.
Cela ne semble pour le moment pas préoccuper le marché des taux. En atteste le différentiel entre les taux à 10 ans italien et allemand, qui sert de principale référence. Depuis fin octobre, ce spread est passé de plus de 200 pb à 170 pb, son niveau le plus bas depuis début septembre. Cela s'explique surtout pa la correction générale des taux aux États-Unis. Ce week-end, l'Italie a également reçu une bonne nouvelle de Moody's. L'agence de notation a en effet amélioré les perspectives de la notation italienne Baa3 de négatives à stables. Le risque d’une dégradation en catégorie spéculative a donc disparu à court terme. Moody's a justifié sa décision en pointant la trajectoire de croissance relativement stable (grâce aux fonds européens via les plans de relance Covid) qui compense en partie les excès fiscaux. En outre, l'agence espère que la BCE continuera de se porter garante afin de contrer toute éventuelle pression des marchés financiers sur les actifs italiens. Un espoir qui pourrait s'avérer vain...
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC