Les commentaires de la Fed priment sur la géopolitique
Les marchés et les tensions géopolitiques... Cela reste un mariage étrange. Les poussées d’aversion pour le risque ne durent souvent pas longtemps. À peine deux jours après l'escalade dramatique du conflit entre le Hamas palestinien et Israël, la flambée des violences au Moyen-Orient a, à quelques exceptions près (perte de 3 % pour le shekel israélien, hausse de 4 % du prix du pétrole) déjà été plus ou moins classée à la verticale. Des regains de tension passagers restent toutefois possibles en cas de nouvelles escalades.
Le lecteur attentif aura remarqué que les taux américains ont perdu jusqu’à 14 points de base (échéance à 10 ans) par rapport à la clôture de vendredi. En Allemagne, le taux à 10 ans a reculé d’environ 10 points de base. Cette baisse des taux d’intérêt dans les principaux pays traduit généralement aussi un regain d’aversion pour le risque, les investisseurs préférant se tourner vers les obligations d’État sûres avec, en revers de la monnaie, un affaiblissement des actions, plus risquées. Or les bourses d’Asie, d’Europe et des États-Unis affichent actuellement des gains... Le dollar, qui profite aussi généralement de l’aversion pour le risque, n’a pratiquement pas bougé par rapport au cours de clôture de vendredi (EUR/USD juste en dessous de 1,06).
La clé de l’énigme se trouve dans les mains du vice-président de la banque centrale américaine, Philip Jefferson. Ce dernier a rejoint l’avis de la présidente de la Fed de San Francisco, Mary Daly, et de la présidente de la Fed de Dallas, Lorie Logan. Le trio assimile le mouvement haussier observé sur la partie longue de la courbe depuis la réunion de la Fed de septembre au dernier relèvement envisagé par la banque centrale. Ces taux plus élevés rendent en effet les principaux paramètres financiers et leurs dérivés moins favorables pour la plupart des acteurs économiques. Ils sont synonymes de prêts hypothécaires plus chers pour les ménages et de primes de risque de crédit plus importantes pour les entreprises. Ils alimentent la vigueur du dollar, avec des conséquences sur les exportations, et provoquent une perte de richesse via l'affaiblissement des bourses. En fin de compte, les taux à long terme (réels) plus élevés font le travail de la Fed en freinant la croissance dans un premier temps et l’inflation dans un second. Les taux du marché monétaire américain évaluent à nouveau la probabilité d’un relèvement avant la fin de l’année à 30 %, contre 50 % après les solides « payrolls » publiés vendredi dernier.
Les réactions du marché hier et aujourd’hui montrent que l’accent – bien que beaucoup moins prononcé – reste clairement mis sur la fonction de réaction des banquiers centraux. Le mouvement brusque observé après les commentaires de la Fed en dit long sur le marché lui-même. En retournant l’argument de Jefferson et de ses collègues, on en arrive à la conclusion qu’un relèvement supplémentaire sera à l’ordre du jour si les marchés corrigent de trop. Après les fortes fluctuations observées depuis la mi-septembre, le marché des taux a au moins besoin d’une pause. À court terme, les sommets cycliques de la semaine dernière s'imposeront comme un solide seuil de résistance. Même la publication d'un chiffre d'inflation plus élévé que prévu ce jeudi ne devrait en principe pas provoquer de rupture. Pour les taux américains à 5 et 10 ans, il s’agit de la zone 4,85 %-4,90 %. Pour le taux à 30 ans, il s'agit de la barre psychologique de 5 %.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC